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travaux des champs, espèrent que la malchance ne les poursuivra plus ; elles émigrent encore vers Paris et y cherchent une condition qu’elles ne découvrent pas plus que la première fois; en revanche, elles trouvent la charité et les secours sans lesquels elles périraient au milieu de la multitude, comme un voyageur égaré dans le désert.

Pour ces malheureuses perdues, découragées dans les dédales de la ville immense, le vestiaire de la place Dauphine est une maison de bienfaisance, car on n’y reçoit pas que des jupes et des souliers. Toute femme qui s’y présente et qui donne preuve de quelque velléité d’énergie est certaine de s’y pouvoir appuyer sur une sympathie active. Lorsqu’une femme sort de Saint-Lazare, — prévenue ayant bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, ou détenue ayant purgé sa condamnation, — Elle est presque toujours réduite à n’avoir en perspective que les chemins de la misère qu’elle a déjà parcourus et qui l’ont menée à la sinistre maison qu’elle vient de quitter. Le plus pressé est de la vêtir et de lui assurer un gîte pour quelques jours, afin, comme l’on dit, qu’elle ait le temps de se retourner. Dans le vestiaire, suffisamment garni de bardes offertes par les sociétaires, on fait choix de la robe, du jupon, des bas, du châle de tricot qui peuvent recouvrir décemment la malheureuse; puis on l’adresse, avec un mot de recommandation, au dortoir des femmes que la Société philanthropique a ouvert rue Saint-Jacques ; là, elle sera hospitalisée pendant trois nuits au moins et nourrie à l’aide de « bons » fournis par l’Œuvre des Libérées. Les conseils dont on a essayé de la fortifier sont très simples : « Si vous vous conduisez bien, vous pourrez probablement vivre de votre travail ; si vous vous conduisez mal, vous retournerez en prison et, comme vous serez en état de récidive, vous serez punie sévèrement et votre vie sera compromise à jamais. » On ne se contente pas de bons avis, car on sait que le moindre grain de mil ferait mieux son affaire; on l’aide et, selon les aptitudes que l’on a pu découvrir en elle, on lui cherche une condition : fille de service, bonne à tout faire, récureuse de vaisselle dans les restaurans médiocres. Autant que possible on s’adresse à des particuliers; il en est de compatissans qui, de cette façon, s’associent à l’œuvre et n’y sont pas les moins utiles. Lorsqu’il s’agit de faire obtenir une place rétribuée à une des libérées ou même simplement à une malheureuse, on évite de solliciter le concours des administrations publiques, qui semblent actuellement ne plus s’appartenir. Dernièrement on a demandé de faire employer au balayage des rues une femme digne d’intérêt ; la réponse est à retenir : « Faites appuyer la pétition par quelques députés influens, sans cela vous n’obtiendrez rien. »