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n’y peut malheureusement rien ; elle est obligée à une extrême réserve, qui est pour elle de la dignité, et tout ce que prouvent une fois de plus les dernières élections de l’Alsace-Lorraine, c’est l’impuissance de la force, c’est l’éternel embarras des conquérans aux prises avec leur conquête. On ne peut rien à cela : M. de Bismarck aurait beau s’en irriter, il s’est créé lui-même la difficulté et il la subit ; il est exposé à la voir reparaître devant lui toutes les fois qu’il interrogera ces fortes et saines populations qui ne conspirent pas, qui restent ce qu’elles sont, dont la foi touchante autant que sérieuse défie les compressions et même les séductions.

Assurément ces deux faits, — D’un ordre bien différent, il faut se hâter de le dire, — Le mouvement socialiste qui s’étend et le vote généreusement résolu, tranquillement irrésistible de l’Alsace-Lorraine, ont leur signification et leur gravité dans les élections allemandes. Ils sont un symptôme, ils rappellent aux puissans de l’Allemagne nouvelle que tous les dangers révolutionnaires ne sont pas en France, et que tout ce qu’on peut conquérir par les armes n’est pas facile à garder. Ils sont, si l’on veut, un avertissement pour les victorieux ; mais en fin de compte, quelle que soit l’importance de ces faits, quelle que soit aussi l’irritation que M. de Bismarck puisse en ressentir sur le moment, le scrutin du 21 février, dans son ensemble, ne reste pas moins ce qu’il est, avec ses caractères généraux et ses conséquences. Il est une victoire pour le gouvernement allemand, ou pour celui qui le dirige, qui en est l’âme et la force ; il lui assure ce qu’il souhaitait. Le chancelier, dédaignant le « triennat » qu’on lui offrait, voulait le « septennat, » faute de pouvoir aller jusqu’à « l’éternat, » comme il l’a dit dans son pittoresque langage ; il aura ce qu’il désirait, il aura son supplément d’effectifs permanens et ses cadres, son accroissement de puissance militaire, son armée toujours prête. Il n’aurait point hésité, il ne l’a pas caché, à se passer du vote du parlement et même du pays, s’il l’avait fallu, pour sauvegarder comme il l’entend la sûreté de l’empire ; il avait déjà pris ses mesures pour agir en dépit de toutes les oppositions dont on aurait pu l’embarrasser : il a désormais l’avantage d’être dispensé de renouveler ses anciennes luttes avec le parlement, d’avoir une majorité pour faire légalement ce qu’il aurait fait dans tous les cas. Il avait présenté le septennat au peuple allemand comme une condition de paix par l’organisation d’une force défensive inexpugnable pour l’empire ; le peuple allemand lui a répondu en lui envoyant une majorité favorable au septennat et en témoignant par son vote même que lui aussi il était pour la paix. Que faut-il de plus ? Le chancelier a ce qu’il désirait ; la masse de la nation allemande ne demande sûrement pas mieux que de rester eu paix ; les élections du 21 février, en tranchant la question la plus délicate du moment,