répété : Son mesla tanto, tanto ! Fuis, sur un accord lugubre, Desdemona commence à se souvenir : « Ma mère avait une pauvre servante énamourée et belle ; son nom était Barbara (quelle intonation sur ce nom !). Elle aimait un homme qui l’abandonna, et chantait une chanson, la chanson du Saule… Ce soir j’ai la mémoire remplie de cette complainte. » Tout cela n’est que murmuré, et les notes de ce récit paraissent les seules qui puissent lui convenir. Peu à peu la chanson revient à la mémoire de la douce créature, mais si faible, qu’elle trouble à peine le silence inquiet de sa veillée. Desdemona semble chanter au hasard ; à tout moment elle s’interrompt et frissonne : le Saule ! le Saule ! Mille détails d’orchestre, d’harmonie, de modulation nuancent son angoisse et sa tristesse ; encore une note isolée, suivie d’un accord sombre, et elle se tait. Mais comme Émilia la quitte, la malheureuse sent au cœur une terreur folle. Son affreux pressentiment lui dit que cette compagne qui s’en va, c’est la vie qui se retire d’elle, et alors, avec un cri d’épouvante, elle rappelle Émilia et la serre entre ses bras. La voilà seule maintenant, elle ne parlera plus qu’à Dieu. Non, pas même à Dieu ; il est trop redoutable : c’est devant la Vierge que s’agenouille la frêle enfant, c’est un Ave Maria qu’elle récite. Elle le dit d’une voix mal assurée, sur une seule note psalmodiée avec une vague épouvante, et je ne connais pas au théâtre d’effet plus saisissant. De cette note obstinée, par un simple port de voix dont la tendresse est adorable, Desdemona passe à la partie chantée de sa prière. Elle prie pour le pécheur, pour l’innocent ; faible, opprimée elle-même, pour le faible et l’opprimé. Quand elle arrive à prier pour celui qui courbe le front sous l’outrage, malgré elle le souvenir, sinon le ressentiment de sa propre misère, lui arrache un sanglot plus fort. Mais elle s’apaise aussitôt, et, redisant encore les mots funèbres : Nell’ ora della morte, elle ferme les yeux.
Que peu de chose suffit au génie ! Une seule note tombe brusquement des cimes de l’orchestre dans ses profondeurs, et l’on sent passer la mort. Otello paraît et marche vers le lit. Cette scène muette est accompagnée, ou plutôt commentée par un étonnant récit de contrebasses. Il sort de l’abîme et monte lentement. Tantôt il menace, et les cordes grondent sous les archets lourds ; tantôt il hésite, et les réponses d’altos endorment sa fureur. Tout à coup, d’un bond formidable, il s’élance sur une note haute, puis redescendant deux octaves, il s’agite, bouillonne et remonte comme la foudre jusqu’aux sommets de la gamme, où deux accords de cuivre le brisent net. Desdemona va mourir.
Sous un baiser d’Otello elle s’éveille. Le duo de la mort ne dure que peu d’instans. Quelques mesures solennelles, puis quelques mesures féroces, un crescendo terrible, un cri, elle silence : Calma come la tomba, dit Otello, sur deux accords tranquilles. Emilia frappe à la