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plus douce. L’orchestre lui aussi comptait ; il soupire, on dirait qu’il a peur. Les voix montent, descendent, le chant passe alternativement de l’orchestre aux chœurs. Iago se joue à travers ce labyrinthe, sans que les nécessités d’une pareille polyphonie imposent le moindre sacrifice au sentiment dramatique. Enfin, la reprise suprême déchaîne une clameur terrible. Elle réveille Otello qui s’écrie : « Fuyez tous Otello furieux, et toi, ma chère âme, sois maudite ! » Verdi n’a pas terminé l’acte sur tout ce fracas, et M. Boito lui a fourni une fin autrement originale. En un clin d’œil la scène s’est vidée ; Otello reste seul. Le désespoir l’égaré ; il râle : « Le mouchoir ! du sang ! du sang ! » et tombe sans connaissance. Au dehors, les fanfares, les acclamations redoublent : « Vive Otello ! Vive le lion de Venise ! » Alors Iago se penche sur le corps de son maître, et sans emphase, sans un cri, avec un mépris plus effrayant que le paroxysme de la fureur: « Le voilà, dit-il froidement, le voilà, le lion ! Ecco il leone ! » C’est ainsi que dans Otello rien ne vise à l’effet vulgaire, et que tout garde la simplicité de la beauté parfaite.

La simplicité ! Elle est si grande dans le dernier acte, qu’elle peut nous surprendre avant de nous attendrir et de nous émerveiller. Verdi, à la fin de son œuvre, ne s’est pas, ainsi qu’on l’a singulièrement affirmé je ne sais où, souvenu de Rossini. Nous pouvons, heureusement, avoir plus d’un idéal, aimer le dernier acte de Rossini, la plaintive canzone du gondolier, la romance du Saule, air de concert admirable, la pure prière qui suit et le duo final. Nous pouvons aimer encore tout cela et aimer déjà des beautés plus jeunes et peut-être immortelles aussi.

Une harpe aux mains de Desdemona nous choquerait aujourd’hui comme sur ses lèvres une romance. Nous ne comprendrions plus que


Desdemona treniblante,
Posant sur son chevet son front chargé d’ennuis,


songeât à prendre une harpe pour s’accompagner un air à vocalises, si beau que soit, au début surtout, le sentiment de cet air. Il faut plutôt que des fragmens de chanson reviennent presque machinalement à la mémoire de la triste enfant ; il faut une chanson bien simple, une naïve chanson d’amour brisé ; il faut surtout qu’on entende sans cesse, comme dans Shakspeare, le mot mystérieux, le nom de l’arbre au pâle feuillage, de l’arbre qui pleure : le Saule! le Saule! le Saule!

On devrait ici, comme Voltaire lisant Racine, écrire partout : admirable! Chaque mesure de ce quatrième acte est pleine d’émotion, chaque note est une larme. Les moindres paroles de Desdemona sont douces et tristes jusqu’à la mort. Quel accablement dans ce seul mot