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phrase d’Otello est une mâle caresse. Elle est presque tout entière écrite dans le médium de la voix, avec ces notes de ténor un peu graves, pleines de sentiment et d’amour. — Mio superbo guerrier, répond Desdemona. C’est le fameux My fair Warrior transposé. Peut-être est-il mieux placé sur des lèvres de femme. O ma belle guerrière ne désigne pas tout à fait la douce créature; à moins que ce ne soit un de ces noms tendrement ironiques qu’on donne aux enfans pour contraster avec leur âge et leur faiblesse, un casque de fer sur le front délicat de la jeune épousée.

Tout bas, les lèvres presque jointes à celles de son seigneur, Desdemona déroule ses souvenirs d’amour. M. Boito a placé ici avec beaucoup d’art le récit d’Otello devant le conseil : dialogué par les deux époux, ce récit prend encore plus de tendresse. Le chant: Quando narravi l’esule tua vita, est de ceux qui pourraient presque se passer d’accompagnement, tant ils sont beaux. Quelques notes de harpe le suivent doucement de leur gamme lente. Puis c’est au tour d’Otello de rappeler les combats, les sanglantes mêlées, l’assaut et les flèches sifflants. Sur ce dernier cri, Desdemona l’interrompt. Elle veut reprendre elle-même le fil d’or de leurs amours. Elle veut lui parler, et cela est bien féminin, lui parler, à ce prince d’Afrique, non pas de sa gloire, mais de ses souffrances, de sa misère et de son esclavage. Ah! quelle série de phrases célestes! Elles coulent, se succèdent comme des larmes de joie. Quelle longue extase amène les vers immortels :


E tu m’amavi per le une sventure
Ed io t’amavo per la tua pietà.


Mots divins, qui ne trouveront jamais dans la langue des sons des notes qui soient ainsi leurs sœurs.

On croit toujours que ce duo va finir, et toujours il recommence; de l’orchestre montent de nouvelles langueurs. Si ardente que soit cette musique, elle demeure chaste comme les étoiles qui l’écoutent. Trois fois les violons gémissent d’amour, et trois fois Otello demande à Desdemona le baiser nuptial. « Viens, Vénus resplendit, » murmure-t-il ; alors l’orchestre entier s’illumine, et le couple enlacé rentre lentement. Vénus n’est plus qu’étoile; si elle était encore déesse, après ce duo d’amour, elle rendrait à Verdi ses vingt ans.

Au début du second acte, Iago conseille à Cassio d’obtenir l’intercession de Desdemona. Les moindres récits de cette scène familière seraient à signaler. Pas une note n’est écrite au hasard, sans une intention littéraire, et cependant tout cala reste musical. A peine Cassio s’est-il éloigné, que Iago change de ton. Le dessin d’orchestre qui accompagnait tout bas ses conseils hypocrites prend une violence soudaine