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Rivarol, si c’est les « beautés » qu’une critique indulgente doit faire ressortir dans le Maître de forges ou dans la Comtesse Sarah, c’est les défauts qu’une critique impartiale doit signaler dans André Cornélis et dans Crime d’amour.

Ceci nous met à l’aise pour parler de Jeanne Avril et de M. Robert de Bonnières. L’auteur des Monach et de Jeanne Avril n’a pas sans doute les rares qualités de M. Paul Bourget, mais il en a d’autres, et, en particulier, il a le don de la vie. C’est par la composition qu’il manque, dans le choix des moyens, par l’expérience aussi de son art. Vivement attiré par le spectacle mouvant de la réalité, d’autant plus vivement que, ce qu’il sait voir il sait aussi le rendre, — Et d’une manière à laquelle je ne reprocherais que de n’être pas encore tout à fait assez libre de l’imitation de Flaubert, — M. Robert de Bonnières ne sait pas résister à la tentation de tout voir et de tout dire. Il y a du reportage, ou, comme on dit encore aujourd’hui, de l’indiscrétion parisienne, dans le fait de M. de Bonnières ; et il en résulte dans ses romans de l’encombrement, de la confusion, trop d’épisodes, peut-être aussi trop de personnages, et, pour le lecteur, une certaine difficulté de suivre le récit. De Jeanne Avril comme des Monach, un romancier plus économe, plus avare de ses notes, eût tiré trois ou quatre romans; car ils y sont, et même ils s’y entr’aident; mais c’est le lien qui n’est pas assez fort, en même temps qu’assez souple, c’est le plan qui n’est pas assez simple ni d’une lecture assez claire. Avec cela, des gaucheries, des défaillances d’exécution, et, pour les masquer, d’imprudentes audaces. Je ne demanderai point à M. de Bonnières sur quelle plage à la mode la malheureuse Mme Avril a donné le spectacle de ses ridicules amours avec M. du Breuil ; il me le dirait, avec les noms, avec la date ; mais le récit n’en est pas assez habilement conduit, d’une main assez légère, assez experte, assez adroite. Il semble que le cas de M. Robert de Bonnières soit précisément inverse de celui de M. Paul Bourget. Si M. Bourget ne voit point, ne sait point voir la réalité, si quelque chose, comme nous disions, entre elle et lui, s’interpose toujours, M. de Bonnières, qui la voit très bien, ne sait pas toujours la transposer dans le mode ou le ton qu’il faudrait pour nous la rendre vraisemblable. Mme Termonde n’était point assez réelle, et je me plaignais de ne la point voir; Mme Avril l’est trop, elle me montre trop de choses, et qu’elle aurait mieux fait de cacher. Il y a trop de psychologie dans le roman de M. Bourget, mais il y a trop de réalisme encore dans celui de M. de Bannières.

Mais, en revanche, comme tout y vit ! ou pour mieux dire, et si l’on veut bien me passer à mon tour un peu de réalisme, comme tout y grouille ! Qu’elle est bien imitée, cette confusion de mœurs au milieu de laquelle nous respirons aujourd’hui comme dans une atmosphère