permission, qu’ils ne nous ont rien donné encore où ils soient tout entiers, que pouvons-nous du moins augurer d’eux pour l’avenir, — et quand je dis « pour eux, » j’entends surtout pour nous? Mais, puisque je ne saurais examiner aujourd’hui ces questions, sans faire tort de tout ce qu’ils m’apporteraient de secours pour y répondre, tant à l’auteur de Mon Frère Yves et de Pêcheur d’Islande, qu’à celui de Dans le Monde et de l’Aventure de Mlle de Saint-Alais, je me contenterai de les avoir indiquées, sauf quelque jour à y revenir, et je dirai seulement quelques mots d’André Cornélis, de Jeanne Avril et de Mont-Oriol.
Un grand avantage de la réclame, — car il faut essayer de prendre les pires choses par leurs meilleurs côtés, — C’est qu’elle fait plaisir aux auteurs, et puis c’est qu’elle décharge la critique de l’ancienne et fastidieuse obligation d’analyser ou « d’extraire » les œuvres, comme disaient nos pères. Grâce à elle, en effet, depuis un mois qu’il a paru, si tout le monde n’a pas lu, tout le monde connaît André Cornélis. Les uns ont dit que c’était Hamlet ; les autres que c’était Crime et Châtiment ; ce pourrait être encore, si l’on le voulait, David Copperfield ; et, quoi que ce soit d’ailleurs, c’est en tout cas une œuvre tout à fait distinguée. Le mot n’est pas heureux, je le sais; on l’a mis à tant d’usages! de qui et de quoi n’a-t-on pas dit qu’il était distingué? Mais je n’en vois pas de meilleur pour caractériser le roman de M. Paul Bourget, et pour en faire à la fois l’éloge et la critique. Oui, c’est une œuvre tout à fait distinguée, je le répète, qu’André Cornélis; une œuvre où tout est distingué, les toilettes et le mobilier, le langage et les mœurs; où tous les hommes « s’habillent comme à Londres, » ce qui est le comble de la distinction, » où les femmes ont « des porteplumes en or, avec une perle blanche à leur extrémité » ce qui n’est pas moins riche que distingué; et où l’assassin même, à lui seul, serait plus distingué enfin que tout le reste, — si l’esprit, si le talent, si l’art de M. Paul Bourget ne l’étaient encore davantage.
L’aurions-nous peut-être déjà dit ? Ce nous serait alors un plaisir que de le redire : parmi nos jeunes romanciers, nul n’a donc l’esprit plus ouvert, l’intelligence plus cultivée, nul ne sait plus de choses, n’a plus lu, n’a mieux lu, plus médité sur ce qu’il avait lu, ne l’a plus approfondi, ne se l’est plus complètement assimilé ni plus intimement que M. Paul Bourget. De l’expérience de ses lectures, avec quelques dispositions particulières, soigneusement entretenues, il s’est fait une originalité laborieuse, compliquée surtout, mais réelle; et une personnalité dont on pourrait bien dire qu’elle a pris en lui la place de la première et de la véritable, une personnalité substituée, mais rare, mais intéressante, mais précieuse et aristocratique. Si jamais quelqu’un nous donne le roman jadis rêvé par M. de Goncourt, ce roman « observé