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— Pure chimère! disent les autres. Si puissant que soit M. de Bismarck, il n’a ni la volonté ni la force de résoudre l’éternelle question romaine. N’a-t-il pas éprouvé en Orient tous les inconvéniens attachés au métier de juge de paix, et n’y a-t-il pas trouvé de nouvelles raisons de se défier des guêpiers? « Le saint-père, nous écrit-on d’Allemagne, ne s’est point occupé de ses intérêts particuliers; il n’a obéi, en intervenant dans l’affaire du septennat, qu’à l’une de ces généreuses inspirations qui viennent du cœur: il n’a songé qu’à la paix du monde et à la paix religieuse. On lui a promis de réviser les lois de mai, on les révisera, on lui fera d’importantes concessions, on lui en promettra d’autres; on peut avoir encore besoin de lui, on veut le tenir, on ne tient les hommes que par la crainte et l’espérance. Les élections du 21 février ont bouleversé l’échiquier parlementaire. M. de Bismarck dispose aujourd’hui d’une majorité de gouvernement. La gardera-t-il? Il est permis d’en douter, sa méthode étant de tout demander à ses amis sans leur rien accorder. Le parti du centre est sorti presque intact de cette bagarre, mais le voilà privé pour longtemps de ses alliés les progressistes, qui sont devenus une quantité négligeable. Les nationaux-libéraux ont réparé brillamment leurs échecs; en plus d’un endroit, le clergé protestant a prêché pour eux, ils ont conquis le Wurtemberg et la Saxe, ils sont les héros de la fête. Leur étonnant succès, qui a dépassé leurs propres espérances, cause sûrement moins de plaisir au chancelier qu’à son futur souverain, le prince impérial, qui compte parmi leurs chefs plus d’un homme avec qui il s’entendrait facilement et qu’il aimerait à voir siéger dans ses conseils. Tant que M. de Bismarck, les conservateurs et les nationaux-libéraux feront bon ménage, on pourra se dispenser de ménager le parti du centre. Mais si M. de Bennigsen et ses amis, sentant leur force, indisposaient le chancelier par leurs exigences et leurs objections, on se brouillerait bien vite, M. Windthorst redeviendrait un homme très important, et peut-être recourrait-on une fois encore à l’obligeante intervention du pape. Il n’aurait plus le droit de dire : « Non possumus, » — et cependant le chef de l’église catholique ne peut, sans déroger, s’atteler à la fortune d’un homme, si grand qu’il soit, et à sa politique de plus en plus personnelle. »


G. VALBERT.