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avaient profondément modifié la constitution de l’église, qu’il fallait aviser, qu’il importait, toute affaire cessante, de sauvegarder l’indépendance de l’état contre les usurpations d’un pape infaillible et italien, qui avait attiré à lui les droits et les prérogatives des évêques allemands. Il professait un inviolable attachement à ce qu’il appelait « l’évangile de la réforme. » Il s’écriait : « Si j’obéissais au pape, je mettrais mon âme en danger, car le pape ne peut rien pour mon bonheur éternel. D’ailleurs, puis-je reconnaître en lui le successeur de Pierre? Pierre n’était pas infaillible, Pierre a péché, Pierre s’est repenti de sa faute et l’a pleurée amèrement. Je n’ose espérer que le pape en fasse autant. » Il avait dit le même jour : « Je ne saurais regarder comme m n ami, comme mon allié, l’homme qui subordonne l’évangile à sa politique. »

Les naïfs se laissaient prendre à ces éloquentes déclarations. Ils se persuadaient qu’après avoir délivré l’Allemagne de l’oppression étrangère, le chancelier voulait l’affranchir de la tyrannie romaine et du culte des idoles. On le considérait comme le libérateur spirituel de son peuple, comme un nouveau Luther. On aurait pu cependant deviner à certains mots qui lui échappaient qu’il faisait une expérience politique, qu’il n’avait dans le fond de l’âme aucune haine pour le catholicisme ni pour aucun dogme. Ce libérateur ne songeait qu’à se délivrer lui-même d’un parti qui l’incommodait. Il se flattait qu’à force de tracasseries, de vexations, il lasserait li patience du haut et du bas clergé, que les bergers sans ouailles et les ouailles sans bergers s’en prendraient au parti du centre des chagrins qu’on leur causait, que les consciences froissées et malades n’attendraient plus le soulagement de leurs maux que du seul médecin qui les pût guérir, qu’après avoir essayé de la menace, l’église chercherait à désarmer la colère de César par ses soumissions et ses prières, que M. Windthorst serait abandonné par ses électeurs, que l’armée, délaissant ses généraux, demanderait à traiter.

L’événement trompa son attente; la résistance opiniâtre qu’il rencontrait le fit réfléchir. Loin de rompre l’accord des soldats et de leurs chefs, la persécution avait resserré leur union. L’armée manœuvrait avec une merveilleuse discipline et, d’année en année, elle s’accroissait de nouvelles recrues. D’autre part, les conservateurs impérialistes et les nationaux-libéraux, qui dans le Reichstag comme dans le parlement prussien formaient la majorité et qui avaient voté les lois de mai, n’acceptaient pas toutes les propositions du chancelier; ils se permettaient de faire leur choix et leurs réserves, ils le contrariaient quelquefois par leurs refus, ils mettaient des conditions à leur obéissance. M. de Bismarck préfère un franc ennemi aux amis indociles et raisonneurs, qu’il traite d’amis infidèles. Piqué des chicanes que lui faisaient les nationaux-libéraux, il se plaisait à les inquiéter en les