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la tête du parti du centre, et d’obtenir que Pie IX désavouât M. Windthorst et son entreprise. Il se flatta un instant de mener à bonne fin sa négociation ; il fut bientôt désabusé. Le pape Pie IX avait essuyé un cruel mécompte : il avait espéré que le nouvel empereur d’Allemagne épouserait ses intérêts, travaillerait au rétablissement de son pouvoir temporel. L’adresse votée par le Reichstag en 1871 et le commentaire qu’en fit M. de Bennigsen par ordre supérieur le guérirent de ses illusions. On ne faisait rien pour lui et on réclamait ses bons offices; il les refusa. M. de Bismarck a raconté lui-même qu’il avait réussi à gagner à sa cause le cardinal Antonelli, mais que les chefs du parti du centre, pour parer le coup, avaient dépêché à Rome « un très grand personnage, qui résidait dans le sud-ouest de l’Allemagne et faisait quelquefois parler de lui, » que ce grand personnage avait dénoncé le cardinal au pape et décidé sa sainteté à approuver la formation et la conduite d’un parti qui devait procurer au chancelier beaucoup d’ennuis, beaucoup de déboires.

M. de Bismarck en conclut qu’on voulait la guerre, et il s’empressa de la déclarer. Les jésuites furent expulsés d’Allemagne, et le gouvernement prussien s’occupa de concerter ces fameuses lois de mai, qu’on promet aujourd’hui de supprimer. M. de Bismarck n’attend jamais qu’on l’attaque, sa défensive consiste à prendre les devans et à porter les premiers coups. Il est sur ce point le fidèle disciple du grand Frédéric, qui, au moment d’envahir la Saxe, au mois d’août 1756, écrivait à l’un de ses conseillers de légation, le baron de Knyphausen, de bien expliquer au cabinet de Versailles « la distinction solide et fondée qu’il faut faire entre l’agresseur et les premières hostilités; que l’agresseur est celui qui fait des plans pour attaquer l’autre, au lieu que l’autre, qui se voit forcé malgré lui de commettre les premières hostilités, n’agit qu’à son corps défendant. » Il ajoutait : « Comme cette distinction est exactement conforme au droit de nature et des gens, vous tâcherez de l’établir au mieux, et vous vous donnerez la peine de réfléchir aux argumens moyennant lesquels vous établirez cette distinction si naturelle et si raisonnable[1]. » Comme le grand Frédéric, M. de Bismarck a toujours trouvé cette distinction aussi raisonnable que naturelle, aussi fondée que solide, et il lui est facile de prouver qu’à l’intérieur comme au dehors, il s’est toujours tenu sur la défensive. On a cru qu’il attaquait, on se trompait lourdement : il a passé sa vie à se défendre contre des intentions.

Tant que dura le Culturkampf, M. de Bismarck approuva les rigueurs ; il alléguait pour les justifier des raisons de convenance et de nécessité. Il déclara plus d’une fois que les décisions du dernier concile

  1. Politische Correspondenz Friedrich’ s des Grossen, XVIIIe volume, page 225. Berlin, 1885.