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temps actuels. C’est alors, selon une remarque importante de M. Cartailhac, qu’une solution de continuité se produit. « Jusqu’alors, dit-il, le progrès avait été constant et régulier, et la civilisation de la pierre taillée ou paléolithique s’était développée insensiblement; elle aurait été autochtone. » Mais, à l’origine de la pierre polie, à l’aurore des temps actuels, une lacune apparaîtrait, un intervalle obscur et difficile à interpréter s’interposerait : il y aurait eu invasion de l’Europe par une race nouvelle, plus forte, plus active, plus avancée, submergeant les races antérieures, les refoulant peu à peu, s’insinuant d’abord le long des côtes et pénétrant de là daris l’intérieur du continent. Désormais, et une fois la révolution accomplie, l’homme européen, bien que dépourvu encore de la connaissance des métaux et réduit à l’usage de la pierre polie, posséderait pourtant des animaux domestiques, pratiquerait l’agriculture, aurait des rites funéraires et élèverait des monumens. Cet âge nouveau, qui est celui des amas de coquilles, des sépultures mégalithiques et des cités lacustres, a cela de particulier qu’il s’étend à l’Europe entière, de la Scandinavie en Portugal, et, plus loin, jusqu’en Afrique. C’est une civilisation ayant ses traits, répondant à une phase de l’humanité, et qui, en Europe, a dû se prolonger jusqu’aux plus lointaines lueurs crépusculaires des temps historiques.

L’Espagne et le Portugal apportent un riche contingent au trésor de découvertes caractéristiques de cet âge. — Des amas de coquilles, assimilables aux « kjœkenmoeddings » des plages baltiques, se rencontrent en Portugal : ce sont des débris ou rebuts de cuisine qui paraissent se rattacher aux premiers temps de la pierre polie. Ils ont fourni, grâce à l’immensité des entassemens d’objets qui les composent parfois, les plus curieux enseignemens sur le régime et les habitudes des peuplades dont ils sont l’ouvrage, et qui, dans certains cas, les choisissaient pour y placer leurs morts. Certaines pratiques de cette époque, encore mal expliquées, présentent un côté mystérieux et sont de nature à exciter la sagacité des savans. Tel est le fait de la trépanation, dont les crânes de l’âge de la pierre polie offrent trop d’exemples pour ne pas y reconnaître un usage établi dans un dessein déterminé, médical ou superstitieux, lié peut-être aussi à un mode d’ensevelissement lorsqu’il s’agit de crânes perforés après la mort. La question, examinée sous toutes ses faces par M. Cartailhac, reste ouverte, malgré les efforts de Broca et de plusieurs autres pour en découvrir le véritable sens. — Mais ce qui attire le plus dans les souvenirs encore debout de cet âge, ce sont les cryptes sépulcrales ou, si l’on veut, les cavernes artificielles, tantôt simplement creusées et agrandies en forme de caveau, avec ouverture ménagée pour servir d’entrée, tantôt érigées au dehors au moyen d’élémens mégalithiques assemblés, quoique bruts, de manière