Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais, ce qui intéresse le psychologue, c’est ce grand principe que la joie est une expansion libre, la peine une lutte qui s’accompagne partout des signes de l’effort, y compris les larmes, par lesquelles les yeux font effort pour se délivrer de ce qui les irrite. La souffrance et la joie s’accompagnent toujours d’aversion et de désir. Le mouvement de concentration sur soi et de défensive, commun à tous les sentimens personnels ou égoïstes, donne à leur expression, comme M. Mantegazza l’a justement remarqué, un caractère essentiellement concentrique, centripète, tandis que l’expression des affections bienveillantes est centrifuge et « excentrique. » La peur offre le type de cette physionomie concentrique propre aux affections qui ont pour centre le moi. La peau d’où le sang se retire devient pâle, froide, puis humide de sueur; le cœur, après avoir palpité fortement et irrégulièrement, se ralentit, la respiration est pénible et la poitrine est comme resserrée. Le poil se hérisse comme sous l’influence du froid[1]. En même temps se dessine l’effort de la réaction défensive : le corps entier se détourne, les bras sont projetés en avant comme pour repousser l’objet effrayant. Si la crainte va jusqu’à l’horreur, son caractère d’énergie et d’effort s’accuse. « L’horreur, dit Charles Bell, est un sentiment très énergique : le corps est dans un état de tension extrême, que la crainte ne réussit pas à affaisser[2]. » De là la contraction violente des sourcils et celle du muscle peaussier du cou. En même temps, la crainte ouvre la bouche et relève les sourcils. Les photographies du docteur Duchenne montrent un vieillard dont les muscles galvanisés donnent au visage l’expression de la terreur et de l’horreur extrême, accompagnée de grande souffrance ; Darwin ayant montré cette photographie à vingt-trois personnes, presque toutes reconnurent immédiatement l’expression d’horreur; quelques-unes y crurent voir une fureur extrême, à cause de l’expression d’effort et de lutte violente qui est commune aux

  1. Pourquoi, dans la terreur, les poils ou plumes des animaux se hérissent-ils ainsi? « Ce phénomène, prétend Darwin, concourt, avec certains mouvemens volontaires, à leur donner un aspect formidable pour leurs ennemis. Quoique le corps de l’homme soit presque entièrement glabre, les petits muscles lisses qui redressent les poils subsistent encore chez lui. Ces muscles se contractent encore sous l’influence des mêmes émotions (terreur extrême) qui font hérisser les poils des animaux placés aux derniers échelons de l’ordre auquel l’homme appartient. » Expression des émotions, p. 335. L’explication de Darwin est quelque peu hasardée ; peut-être le hérissement des poils ne fut-il pas primitivement défensif, mais seulement produit par les effets réflexes liés au mouvement général de concentration. C’est aussi l’opinion de M. Mosso. Toutes les fois, dit-il, qu’a lieu une contraction des vaisseaux sanguins, quelle qu’en soit la cause, il se produit une contraction des muscles de la peau et les poils se dressent (p. 220).
  2. Anatomy of expression, 169.