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des impressions accumulées est trop grande et aboutit à une convulsion physique. Chose étrange chez un tel homme de guerre et chez un tel homme d’état, « il n’est pas rare, quand il est ému, de lui voir répandre quelques larmes. » Lui qui a vu mourir des milliers d’hommes et qui a fait tuer des millions d’hommes, « il sanglote, » après Wagram, après Bautzen[1], au chevet d’un vieux compagnon mourant. « Je l’ai vu, dit son valet de chambre, après qu’il eut quitté le maréchal Lannes, pleurer pendant son déjeuner: de grosses larmes lui coulaient sur les joues et tombaient dans son assiette. » — Ce n’est pas seulement la sensation physique, la vue directe du corps sanglant et fracassé, qui le touche ainsi à vif et à fond ; une parole, une simple idée est un aiguillon qui pénètre en lui presque aussi avant. Devant l’émotion de Dandolo qui plaide pour Venise, sa patrie, vendue à l’Autriche, il s’émeut et ses paupières se mouillent[2]. En plein conseil d’état[3], parlant de la capitulation de Baylen, sa voix se trouble, et « il s’abandonne à sa douleur jusqu’à laisser voir des larmes dans ses yeux.» — En 1800, au moment de partir pour l’armée, quand il dit adieu à Joséphine,

  1. Meneval, I, 299. — Constant, Mémoires. V 62. — De Ségur, VI, 114, 117.
  2. Le maréchal Marmont, Mémoires, I, 306. — Bourrienne, II, 119. « Hors du champ de sa politique, il était sensible, bon, accessible à la pitié. »
  3. Pelet de la Lozère, p. 7. — De Champagny, Souvenirs, p. 103. l’émotion avait été bien plus forte encore au premier moment. « Depuis près de trois heures, la fatale nouvelle était entre ses mains; il avait exhalé seul son désespoir. Il me fit appeler;., des cris plaintifs sortaient involontairement de sa poitrine. »