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Grecs en majorité, aussi bien que le sud de l’Albanie. Ainsi les villes importantes de Jannina, de Salonique, de Philippopolis, d’Andrinople et Constantinople elle-même sont des cités grecques. La Crète, tous les rivages de l’Asie-Mineure et les îles adjacentes jusqu’à Chypre, sont occupés par des Hellènes, qui en sont la population dominante. L’Angleterre, en mettant la main sur l’île de Chypre, en a acheté des Turcs l’asservissement et les Grecs n’ont fait que changer de maître ; ce marché, qui avait été négocié en secret, indisposa une première fois les Hellènes de tous les pays. L’indignation éclata lorsque les événemens de Philippopolis arrachèrent à l’hellénisme un autre de ses membres et montrèrent les Slaves s’acheminant, comme autrefois, vers Constantinople.

Les faits de 1885 et 1886 sont trop récens pour qu’il soit utile de les rappeler ici. Disons seulement qu’ils surprirent la Grèce mal préparée à profiter des événemens ; elle avait perdu beaucoup de temps, et employé beaucoup d’argent et de force morale à des luttes de parti absolument stériles. Quand elle eut dépensé ses ressources en préparatifs de guerre, et qu’elle eut mis son armée et sa flotte sur le pied que je viens de signaler, il était trop tard. Une tâche ingrate incomba au gouvernement de M. Delyannis, celle de céder sans déshonneur aux injonctions des puissances et de licencier l’armée. Il céda sans avoir acquis un pouce de territoire et fit au gouvernement français la déclaration dont on se souvient, avec la promesse de rappeler les troupes sans retard. La Turquie, sûre de la probité du roi George et de ses ministres, se contenta de leur parole. Mais l’occasion était trop bonne de vexer, croyait-on, la France et d’humilier la Grèce. L’Angleterre se fit l’exécutrice de cette honnête conception diplomatique. La France ne fut point irritée, la Grèce ne sentit aucune humiliation, parce que, devant des forces énormes, une petite nation peut toujours céder sans honte. Mais c’était le philhellène avoué, M. Gladstone, qui avait été l’exécuteur; qu’eût donc fait M. Salisbury? Tout ce qu’on obtint, en réalité, ce fut l’éclaircissement de la situation politique et l’évidente démonstration que la Grèce n’a en Europe qu’un seul ami, la France. On m’assure que M. Tricoupis lui-même l’a reconnu.

Aujourd’hui, l’équilibre est rompu dans l’Europe orientale, par suite des événemens de Bulgarie; mais les anciens projets n’en subsistent pas moins. Il est clair comme la lumière du jour que, par son action en Bulgarie, pays slave, la Russie marche sur Constantinople; le pseudo-testament de Pierre le Grand continue de s’exécuter avec les variantes que les événemens ultérieurs y ont introduites. L’empire austro-hongrois veut marcher sur la Macédoine et la mer Egée. L’Allemagne veut Trieste. Quant à l’Italie, elle a bien su profiter