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n’était pas une hérésie et n’atteignait pas l’essence de la foi ; il résolvait une question de hiérarchie et se rattachait à un principe de nationalité. En effet, il est de règle en Orient que le jour où une nation se fonde, elle acquiert en même temps l’indépendance ecclésiastique. Ce qui révolta les Grecs à cette époque toute récente, c’est que les Bulgares, restant sujets du sultan, n’avaient pas le droit de renier le patriarche et donnaient un exemple pernicieux. On vit dans cette sorte d’usurpation une influence panslaviste et une attaque à peine déguisée contre l’unité hellénique. Le schisme s’accomplit néanmoins et fut confirmé par un décret du sultan ; la Bulgarie n’est pourtant pas encore une nation aujourd’hui même et, quoique séparée administrativement du patriarcat, elle a la même foi que les Grecs, les Russes et les autres orthodoxes.

On a répété que la foi religieuse a été le principe conservateur de la nationalité hellénique en face des Turcs. Je l’ai cru longtemps moi-même ; une analyse des faits réels et une longue observation m’ont appris que c’est là une opinion approximative et exagérée. Ce qui a séparé les Turcs et les Grecs, ce n’est pas seulement la foi et le culte, c’est aussi tous les autres élémens sociaux. En effet, si l’on se demande quelle est sur un sujet quelconque la manière de penser des musulmans et celle des hommes de notre race, on trouvera que l’une est toujours le contre-pied de l’autre. Comme la manière de penser entraîne à sa suite la manière d’agir, on voit que pour tout ce qui concerne la vie politique ou civile, la constitution de la famille, les relations de l’homme et de la femme, l’éducation des enfans, les finances, la guerre, la justice, tout enfin, les Turcs font juste le contraire de ce que font les peuples de race aryenne. La religion est comprise dans cet antagonisme ; elle ne le constitue pas à elle seule. Ce n’est pas elle qui a sauvé la nationalité hellénique ; elle s’est sauvée avec elle, comme les autres élémens sociaux, et cela parce que, de part et d’autre, tous ces élémens sont incompatibles. Cette analyse peut être faite de nos jours comme on l’eût faite avant la guerre, puisqu’une grande partie des Hellènes est encore sous le joug des sultans en Asie-Mineure et dans l’orient de l’Europe. Ils y vivent séparés de leurs maîtres non-seulement d’esprit, mais de corps, habitant des villages distincts, cultivant d’autres champs et ne se mêlant point à eux dans les affaires de commerce. Comment les fêtes religieuses des musulmans et des chrétiens pourraient-elles se mêler en quoi que ce fût quand ils sont en lutte sur tous les autres points de la vie sociale ?

Mais il est certain que, depuis le départ des Turcs, les Grecs voient dans la religion une force nationale conservatrice. Dans les temps byzantins, ils ont attribué une importance excessive aux questions de dogme ; les dissidences en théorie ont souvent tourné