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propriétaires ruraux. Il y a quelques années, ce trafic était une menace pour la société, un véritable fléau ; on prêtait à 12 pour 100 au cultivateur et souvent à un taux plus élevé ; or, en quel paradis terrestre la terre produit-elle un si fort revenu, laissant encore assez pour nourrir celui qui l’ensemence ? La Banque nationale se mit donc de la partie, elle prêta à 8 pour 100 à l’agriculture et eut ainsi raison des usuriers. Mais une partie du mal était déjà fait ; je connais des latifundia qui n’ont pas d’autre origine.

Le même mouvement se reproduisit peu après sous une autre forme et à l’imitation de ce qui se passe en Europe. Toute personne allant en Grèce aujourd’hui connaîtra bientôt qu’il s’y crée une aristocratie financière dont le caractère et le genre de vie s’éloignent de plus en plus de ceux du peuple. La société néo-hellénique s’est sagement abstenue de décerner des titres de noblesse, même à ses héros ou à leurs enfans ; il n’y a quant à la naissance aucune différence entre un petit commissionnaire de l’Agora et les descendans de Miaoulis ou de Colocotroni. Mais il y a une grande inégalité sociale entre un petit propriétaire rural et le millionnaire qui bâtit un palais de marbre ou un grand hôtel dans la nouvelle Athènes. Beaucoup de ces riches Hellènes sont venus du dehors, où ils avaient fait fortune. Ils apportent dans le pays des mœurs nouvelles, inconnues aux Grecs de l’indépendance ; leur manière de vivre est imitée de la vie occidentale. Mais comme la plupart ne sont pas nés dans ce luxe qu’ils prodiguent, l’imitation n’est pas toujours heureuse, ni adroite. Nous avons quatre manières de nous apprécier nous-mêmes : on les nomme humilité, modestie, vanité, orgueil. Le Grec n’est ni humble, ni modeste, ni orgueilleux ; sa vanité native ne fait que changer de théâtre et d’expression. Quand il se sentait pauvre et peu familiarisé avec les belles manières des gens d’Occident, il vivait retiré, semblait modeste et ne demandait pas d’autre admiration que celle de ses égaux. À présent que la finance en a enrichi plusieurs, ils s’étalent et veulent être admirés de l’univers. Le mal n’est pas grand ; il n’y a là ni crime, ni péché mortel ; il n’y a qu’un peu de ridicule auquel on échappe quand on veut. Quant à ceux qui se font appeler prince ou comte, ce sont des titres que leurs familles ont eus à l’étranger et qui en Grèce sont mal portés, parce qu’ils s’imposent et procèdent de l’orgueil, sentiment étranger au peuple grec.

Si nous prenons le bon côté des choses, le progrès de la richesse et la satisfaction d’une certaine vanité ont eu des conséquences heureuses : elles ont en quelque sorte nettoyé le pays de l’ordure que la servitude y avait laissée. L’habitation est devenue plus confortable, non-seulement dans les villes où elle va jusqu’au luxe, mais aussi dans les campagnes. Le sentiment de l’ordre a pénétré partout