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de la résistance, implorent la clémence du vainqueur. Le général en chef, à qui le message est envoyé sans retard,. donne au général Rullière l’ordre de faire cesser immédiatement le feu et de prendre, avec les troupes qu’il a sous la main, possession de Constantine.

Le drame aux péripéties terribles n’avait pas duré deux heures ; mais quand tout paraissait fini, un sanglant et cruel épi- logue allait en prolonger l’horreur par une scène déplorable. Au-dessous de la kasba, en face de Sidi-3Iecid, l’escarpement, de plus de cent mètres, qui descend presque verticalement au Roumrael, est traversé de distance en distance par d’étroits ressauts qui semblent diviser en étages la haute muraille de roc: c’était par cet endroit, opposé à l’attaque du Coudiat-Aty, que, pendant l’assaut, beaucoup de familles avaient réussi à s’échapper de la ville. Au sommet de l’abîme et sur les saillies inférieures, des cordes attachées à des piquets avaient déjà servi au salut de quelques centaines de fugitifs ; ceux qui attendaient leur tour ignoraient malheureusement encore la soumission offerte par leurs chefs et acceptée par les Français. Ceux-ci, les généraux Rullière et Lamy en tête, montaient à la kasba ; voici ce qu’a vu et raconté le général Lamy : « De ce côté de la ville règne un escarpement divisé en terrasses successives de trente à soixante pieds; sur le bord supérieur était une rangée de femmes et d’enfans qu’on descendait avec des cordes. A notre aspect, un mouvement de terreur se manifesta, et en un instant toute la rangée disparut: nous restâmes pétrifiés. A nos signes pacifiques, quelques hommes s’approchèrent, jetèrent leurs armes et reçurent en tremblant les poignées de main de nos soldats; les femmes, les enfans encore debout sur l’esplanade, se rassurèrent. Nous approchâmes et nous vîmes quarante cadavres étendus au pied du rocher. Les moins blessés s’efforçaient de descendre encore plus bas, et là nous les avons nourris pendant deux jours, jusqu’à ce qu’on ait pu se procurer les moyens de les retirer.»

A midi, le général en chef et le duc de Nemours firent par la brèche leur entrée dans Constantine. Arrivés au palais du bey, ils y appelèrent les chefs de la ville. Ben-Aïssa était de ceux qui avaient réussi à s’échapper; le Kaïd-ed-Dar était mort; le Cheikh-el-Beled, vieillard très respecté de la population, mais trop âgé pour servir utilement dans une telle crise, présenta son fils Sidi-Mohammed-Hamouda, qui fut nommé caïd et chargé d’organiser sans retard l’autorité municipale. Une proclamation rassurante fut adressée aux habitans ; l’entrée des mosquées était interdite aux soldats. La ville, qui aurait pu, selon les vieux usages de la guerre, ayant été prise d’assaut, subir la désolation du saccage, n’eut à supporter d’autre peine que le désarmement et d’autre charge que l’entretien