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entre les chefs de la ligue et les fermiers pour payer aux propriétaires ce qu’on voudra. On enverra des soldats, on multipliera les procès : la question ne reste pas moins telle qu’elle est depuis longtemps entre l’Angleterre et l’Irlande, telle qu’elle vient de se reproduire devant le parlement. M. Gladstone n’a rien dit encore; il n’a même pas paru à la chambre des communes; mais un de ses lieutenans, M. John Morley, a relevé le drapeau de la politique du vieux chef libéral, et la cause irlandaise a trouvé en M. Parnell son avocat le plus naturel. M. Parnell a proposé un amendement, il l’a soutenu avec une singulière dextérité de logique, avec autant de souplesse que de vigueur, évitant d’embarrasser les libéraux dont il a besoin, éludant les explications sur le « plan de campagne » que les légistes ont déclaré une illégalité. Le gouvernement, représenté dans le débat par sir Michael Hicks-Beach, s’est défendu comme il a pu, en invoquant toujours la nécessité de rétablir avant tout la paix sociale, de faire respecter la loi et la propriété. Il aura raison au scrutin; l’amendement de M. Parnell, qui blâme la politique irlandaise du cabinet et lui oppose l’éternel home rule, sera sûrement repoussé! Qu’en sera-t-il le lendemain? On ne sera pas beaucoup plus avancé.

On préparera, on prépare, dit-on, des lois nouvelles mêlées de concessions et de répressions. Malheureusement ce qui arrivera est connu d’avance. Si ces lois nouvelles ne donnent pas aux Irlandais ce qu’ils demandent, elles seront impuissantes; elles ne rétabliront pas la paix, elles ne désarmeront pas la résistance. On ne vaincra pas avec des palliatifs cette immortelle insurrection qui a tout un peuple pour complice, dont les chefs se succèdent et s’appellent Parnell, Sexton, Dillon, quand ils ne s’appellent plus, depuis longtemps, O’Connell. La cruelle fatalité de cette affaire irlandaise pour l’Angleterre, c’est que tous les partis ont également raison : les conservateurs et les libéraux de tradition, quand ils sentent que ce que réclame l’Irlande atteint l’unité de l’empire britannique; M. Gladstone et ses amis, quand ils prétendent qu’on ne pourra réconcilier l’Irlande que par une politique de généreuse réparation et de libérale équité. Ce n’est pas le ministère de lord Salisbury qui paraît destiné à dégager victorieusement l’Angleterre de cette fatalité. Il n’est pas assez fort, et, dans le jeu incessant des partis anglais, il n’est point impossible qu’avant peu l’expérience assez peu brillante des conservateurs ne tourne au profit de M. Gladstone ou d’une politique libérale à l’égard de l’Irlande.

Voilà donc l’Italie, à son tour, placée entre ses préoccupations de diplomatie européenne et les intérêts plus lointains qu’elle s’est créés dans la Mer-Rouge, allant de l’un à l’autre et bronchant, elle aussi, sur sa route, à 1 improviste, dans une crise ministérielle. Ce qu’il y a d’assez curieux, c’est que cette crise, survenue à Rome à la suite d’une mésaventure aussi pénible qu’inopportune, n’est point sans quelque