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Évidemment, la démission passablement cavalière de lord Randolph Churchill est restée un coup assez sensible pour le ministère tory: non pas que le jeune et impétueux descendant des Marlborough fût un chancelier de l’échiquier bien sérieux; mais le coup de tête par lequel il s’est évadé du pouvoir a été le signe visible de dissentimens dont des explications récentes ont dévoilé la gravité. Ces explications, accompagnées de la divulgation d’une correspondance de l’ancien ministre avec le chef du cabinet, ont prouvé qu’il y a quelques semaines lord Salisbury voyait « l’aspect du continent très noir, » qu’il croyait à la possibilité pour l’Angleterre d’être entraînée dans « une guerre imminente, » qu’il jugeait une augmentation des forces britanniques absolument nécessaire. Lord Randolph Churchill, lui, trouvait que tout le danger était dans le système qu’on suivait, qu’une politique étrangère plus sage pourrait soustraire l’Angleterre aux luttes continentales et la tenir en dehors des luttes allemandes, russes, françaises ou autrichiennes. Il a ajouté que la politique extérieure qu’on pratiquait lui paraissait « à la fois dangereuse et sans méthode. « Il l’avait déjà dit dans ses lettres, il l’a répété à la chambre des communes avec une certaine âpreté, qui n’a peut-être pas laissé d’embarrasser ses anciens collègues. Puis il est parti pour le continent, et, en panant, il a lancé sa flèche contre l’alliance des libéraux qu’il a comparée à une « béquille » sur laquelle lord Salisbury prétend s’appuyer Tout cela ne prouve pas que le ministère de la reine Victoria soit dans des conditions bien libres et bien aisées pour conduire la politique extérieure de l’Angleterre comme il le voudrait peut-être.

Une autre difficulté qui s’est élevée, qui ne pouvait manquer de s’élever dans la discussion de l’adresse, c’est cette éternelle question irlandaise, au sujet de laquelle lord Randolph Churchill n’était peut-être pas plus d’accord avec son chef que sur tout le reste. Sans doute, le ministère, avec l’appui des libéraux amis ou alliés de lord Hartington et de M. Goschen, est assuré d’avoir une majorité dans les affaires d’Irlande, et cette alliance a des chances de se maintenir tant qu’on reste dans des termes généraux, tant qu’on ne parle que de sauvegarder l’unité de l’empire britannique. On s’est entendu, on s’entendra sur ce premier point; mais c’est précisément là que la difficulté sérieuse commence. Il s’agit toujours de savoir à quoi doit conduire cette entente, ce qu’on fera d’un commun accord pour l’Irlande. Jusqu’ici, la politique ministérielle ne s’est manifestée que par des mesures de coercition, qui n’ont eu d’autre résultat que de provoquer une recrudescence d’agitation en Irlande et de nouveaux efforts des chefs de la ligue nationale. Aux répressions, aux saisies des débiteurs récalcitrans, aux procès, les Irlandais ont répondu par des émeutes à Belfast et ailleurs, surtout par ce fameux « plan de campagne » qui est devenu le thème de toutes les polémiques, qui est tout simplement une convention