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servi ni les intérêts de la paix, ni les intérêts de leur pays. L’Angleterre, pour prendre ce rôle de boutefeu que lui donnent ses journaux, pour faire ainsi la leçon aux autres peuples, n’est point elle-même, après tout, dans une situation si facile et si favorable. Elle est engagée comme les autres par sa politique, par ses intérêts, dans les conflits qui peuvent menacer le monde à l’Orient ou à l’Occident, et, de plus, elle a autant que d’autres ses propres embarras : elle a ses partis décomposés, son ministère assez mal équilibré, et l’Irlande qui est toujours là, attendant ce qu’on fera pour elle.

Depuis que le parlement s’est réuni et a entendu la lecture du discours de la reine qui a inauguré la session nouvelle, quinze jours sont déjà passés, et ces quinze jours ont été employés à une discussion de l’adresse, qui autrefois était expédiée en une séance, qui maintenant traîne pendant des semaines. On a tout abordé : la démission de lord Randolph Churchill, les affaires extérieures, les affaires d’Egypte, les affaires irlandaises, — Et, en définitive, après des débats assez décousus, presque aussi décousus que ceux de notre chambre, on n’est arrivé à rien de clair et de précis ; on touche à peine au terme. On attribue ces lenteurs au système d’obstruction pratiqué par les Irlandais, et on a même présenté un projet de nouveau règlement, que M. Gladstone avait déjà proposé, que lord Salisbury a repris, pour hâter l’expédition des affaires, pour dégager les discussions ; c’est aussi l’effet de toute une situation qui ne dépend pas d’un expédient de réglementation parlementaire. Le ministère conservateur se ressent visiblement de la dernière crise où il a failli disparaître presqu’à l’improviste, et d’où il n’est sorti que péniblement, avec une politique quelque peu diminuée, avec une autorité pour le moins contestée et partagée.

La vie devient laborieuse et dure pour le ministère Salisbury. Rien ne le prouve mieux que la difficulté qu’a eue le nouveau chancelier de l’échiquier, M. Goschen, à obtenir une élection à la chambre des communes pour pouvoir rester dans le cabinet. M. Goschen est sans doute un homme supérieur par ses talens, par son expérience des affaires ; il représente de plus cette alliance des libéraux modérés avec les conservateurs, qui est peut-être ce qui répond le mieux aujourd’hui à l’état de l’opinion, sans laquelle, dans tous les cas, le gouvernement est à peu près impossible dans le parlement tel qu’il est composé. Malgré tout, malgré l’alliance des amis de lord Hartington et des conservateurs, M. Goschen n’a pas moins échoué une première fois à Liverpool ; il a été vaincu au scrutin par un partisan de M. Gladstone. Il a fallu que le représentant du quartier Saint-George, à Londres, lord Algernon Percy, se dévouât et donnât sa démission pour épargner au chancelier de l’échiquier quelque nouvelle mésaventure électorale dans une circonscription moins sûre. L’élection de M. Goschen dans ces conditions n’est peut-être qu’un succès assez modeste.