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de la Tafna ; le même jour, le général d’Arlanges, relevé de son poste, s’embarquait pour Oran.


VI.

Nouveau venu en Afrique, à l’âge de cinquante-deux ans, le général Bugeaud y apportait deux idées profondément enracinées dans sa tête : l’une, que la prise d’Alger avait été le commencement d’une mauvaise affaire ; l’autre, que la guerre, telle qu’on la faisait en Algérie, était une guerre mal faite. Dès le lendemain de son arrivée, il réunit les chefs de corps et leur tint ce petit discours : « Messieurs, je suis nouveau en Afrique, mais, selon moi, le mode employé jusqu’ici pour poursuivre les Arabes est défectueux. J’ai fait de longues campagnes en Espagne ; or, la guerre que vous faites ici a une grande analogie avec celle que nous avions entreprise, en 1812, contre les guérillas. Vous me permettrez d’utiliser l’expérience que j’ai acquise à cette époque. C’est ainsi que je suis d’avis de supprimer les fortes colonnes et de nous débarrasser de cette artillerie, de ces bagages encombrans qui entravent nos marches et nous empêchent de poursuivre ou de surprendre l’ennemi. Nos soldats, comme les soldats de Rome, doivent être libres de leurs mouvemens et dégagés; il faut, à tout prix, alléger le poids qui les surcharge. Nos mulets, nos chevaux porteront les vivres et les munitions, et les tentes leur serviront de bâts et de sacs. Alors nous serons à même de traverser les montagnes, les torrens, sans laisser derrière nous les bagages. » C’était le programme d’une nouvelle tactique ; les vieux africains s’en scandalisèrent et chargèrent le colonel Combe de porter au général leurs objections collectives. Quoi ! supprimer l’artillerie, quand il est d’expérience que c’est le canon qui donne confiance au soldat ! Le général écouta le colonel, mais ne se rendit pas à ses raisons. Sauf les batteries de montagne, dont le matériel se porte à dos de mulet ou de chameau, toute l’artillerie fut embarquée avec ses voitures et celles de l’intendance, caissons, fourgons, prolonges, etc. « Le général Bugeaud, écrivait le lieutenant-colonel de Maussion, a de la vigueur et de l’impérieux, ce qui est bien important ici où la douceur du général d’Arlanges et l’indifférence du maréchal Clauzel, pour tout ce qui ne le touche pas personnellement, ont laissé germer bien de l’indiscipline dans les hauts grades. Le général Bugeaud est, d’ailleurs, assez appuyé pour nous débarrasser de quelques officiers supérieurs dont la pusillanimité entrave tout et décourage tous les soldats. On croit dans ce monde que la bravoure est une chose commune et brutale ; on se trompe fort : elle est rare et raisonnée. Il n’y a rien de plus brave qu’un honnête homme. » Duvivier, un