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se sont-ils depuis peu envenimés ou tout simplement refroidis? Ils paraissent être ce qu’ils étaient restés jusqu’ici. Jamais il n’y aura eu une aussi étrange contradiction entre ce qu’on peut appeler la vie réelle, les dispositions populaires, les relations avouées des gouvernemens, et l’agitation qui est partout à la surface. La paix est manifestement dans le désir des peuples, la régularité est au moins en apparence dans les rapports de ceux qui décident du sort des nations : n’importe, la campagne continue plus ou moins vive selon les incidens qui se succèdent, et en mettant les choses au mieux, on est réduit, pour se donner une sorte de raison de patienter, à se dire que ce n’est peut-être qu’une affaire de quelques jours encore, que les élections allemandes, qui sont pour le 21, débrouilleront cette situation, qu’elles laisseront voir tout au moins à quoi l’on peut décidément s’en tenir. Ce sera fort heureux ! Il ne reste pas moins vrai que, depuis deux mois, l’Europe vit de cette vie de fièvre, ne sachant plus si elle aura la paix qu’elle désire, quelle espère toujours, ou la guerre qu’elle redoute, dont on ne cesse de lui parler, — que depuis six semaines surtout il y a un poids sur toutes les relations, sur tous les intérêts. Il n’est pas moins évident que s’il y a des excitations factices ou même des spéculations équivoques dans ce trouble universel du jour, il y a nécessairement d’autres causes plus profondes, qui sont dans toute une situation, peut être en partie en Orient depuis quelque temps, sûrement aussi à Berlin, dans la position extraordinaire de l’Allemagne, dans les impatiences d’autorité de celui qui la gouverne. Il y a sans doute des raisons ce toute sorte, avouées ou inavouées, et ce qui est dans tous les cas plus évident que tout le reste, c’est que, si le monde passe aujourd’hui par une de ces crises d’instabilité où la paix semble en péril, si les intérêts souffrent, si tout est suspendu, la France n’y est pour rien.

Que les journaux allemands se plaisent à changer tous les rôles et mettent leur zèle inquisiteur à instruire le procès de notre pays; qu’ils passent leur temps à épier nos moindres gestes et nos moindres paroles, à dénaturer les actions les plus simples pour finir par déclarer que c’est la France qui veut la guerre, que c’est la France qui trouble l’eau, — ils ne font que ce qu’ils ont la triste habitude de faire depuis longtemps. Ils l’ont fait seulement dans ces dernières semaines avec une telle âpreté et de telles exagérations, avec une si visible passion de contre-vérité, qu’on ne les croit plus. Ils peuvent troubler encore quelques têtes allemandes en leur persuadant que la France tout entière est en ébullition, fourbissant ses armes, prête à entrer en campagne, impatiente de suivre le panache de M. le général Boulanger ; ils n’abusent plus personne en Europe, pas même les journaux anglais, leurs bons complices de ces dernières semaines. S’il est effectivement une chose évidente, frappante, avérée pour tous les témoins