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Russie. De là le zèle de l’Angleterre, et ses manœuvres en Bulgarie, pour préparer à l’influence russe un échec. Si la Russie le supportait, c’était l’indice d’une faiblesse qu’on saurait exploiter; si la Russie prétendait se défendre, elle hâtait une guerre où elle trouverait contre elle trois peuples. Ces perspectives n’ont pas paru troubler l’empire russe. Il a ressaisi le gouvernement en Bulgarie avec une vigueur telle, que l’Autriche à son tour, jugeant son prestige de puissance slave compromis si elle tolérait cette prise de possession, a demandé secours à l’Allemagne. Mais l’Allemagne n’était plus disposée à donner que des conseils. Elle a engagé l’Autriche à la patience, la Russie à la modération. Elle a semblé partout surprise que, dans les Balkans, il fût si malaisé de favoriser un ami sans se faire un ennemi. Elle s’est cette fois dégagée, mais en laissant au monde cette impression que la Russie restait maîtresse, l’Autriche abandonnée, et qu’elle avait éprouvé elle-même son premier échec.

Or si, pour avoir voulu se mêler, même avec discrétion, aux difficultés orientales, elle s’est trouvée tout à coup près de la guerre et obligée à un recul, quels seraient ses risques le jour où elle appellerait des puissances si jalouses à résoudre un tel problème? Ce jour-!à, elles déclareraient chacune leur volonté et demanderaient à l’Allemagne d’opter entre elles. Les plus ambitieuses peuvent prendre patience tant que l’heure du partage n’est pas venue, mais quand cette heure sonne, qui va pour jamais attribuer à eux ou à d’autres la dépouille, ils exigent des engagemens précis, et quiconque n’est pas pour eux est contre eux. A la veille d’une guerre, l’Allemagne devrait se prononcer.

Soutiendrait-elle les intérêts de l’Autriche, elle gagnerait par surcroît l’alliance anglaise ; mais, entre la France attaquée et la Russie, l’union serait inévitable, et l’Allemagne tomberait dans les hasards qu’elle n’a pas voulu courir il y a six mois.

Achevant l’évolution qu’elle semble décrire depuis cette époque, laisserait-elle la Russie libre en Orient, et les deux puissances se garantiraient-elles leurs conquêtes aux deux extrémités de l’Europe ? L’Angleterre et l’Autriche, menacées dans leurs intérêts vitaux par la Russie, auraient un intérêt vital à la défaite de l’Allemagne et deviendraient un appui pour la France.

L’Allemagne, enfin, refuserait-elle de prendre ces engagemens positifs? Pour ne pas exciter l’inimitié de certains peuples, elle exciterait les soupçons de tous. Il apparaîtrait qu’elle se propose pour but d’affaiblir tout le monde ; puis, après avoir assuré ses propres conquêtes, de réduire la part des vainqueurs, avec le concours des mécontens, et, devenue seul arbitre de l’Europe, d’exercer sur tous les peuples son protectorat. Ceux qui auront ces craintes se garderont