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pour avoir proposé l’envoi de quelques troupes, a perdu le pouvoir.

Au Tonkin, où l’honneur commandait de venger l’effusion du sang français, une expédition s’est faite, mais toujours importune au pays : la seule nouvelle d’un échec après des succès signalés a suffi pour jeter bas le cabinet, et l’impopularité de cette guerre pour doubler, aux élections de 1885, les forces de l’opposition.

A l’heure présente, les menaces à peine voilées du gouvernement allemand, les provocations directes de la presse allemande, qui sur une nation inflammable seraient tombées comme l’étincelle, n’ont pas même ébranlé l’attachement invincible de la France à la paix. Le jour où le général Boulanger serait soupçonné de méditer une agression, la colère qu’il inspirerait aurait pour mesure la notoriété qu’il a conquise, et du jour où il serait odieux au peuple, il serait abandonné des pouvoirs publics.

A qui en appellerait-il alors pour poursuivre le terrible dessein qu’on lui prête ? On a vu parfois un homme s’appuyer sur les pouvoirs publics pour gouverner contre l’opinion, ou sur l’opinion pour gouverner contre les pouvoirs publics. Mais quel homme a jamais accompli un coup d’état à la fois contre la légalité et contre l’opinion?

Le reproche à faire à la France est un reproche que des Français seuls ont le droit de lui adresser. Sa faute n’est pas de songer trop à reprendre rang dans le monde, c’est de n’y pas songer assez : les querelles intestines, la nature de son gouvernement, l’absence d’hommes dignes de l’inspirer, tout la détourne d’une action même légitime au dehors.


II.

L’Allemagne, pas plus que la France, ne souhaite la guerre. Mais il y a à la fois en elle un culte naturel pour la force et une sorte particulière de mémoire qui ne lui permet jamais d’oublier les maux une fois soufferts. L’armée rappelle à chacun sa part dans la gloire de Sedan et de Metz, et, en même temps, il semble que l’Allemagne ait éternellement à venger Iéna. Une telle disposition d’esprit est conservatrice des vertus militaires, rend acceptables les sacrifices qu’elles exigent et permet de soulever quand il convient la haine qui, sous la placidité germanique, veille toujours contre l’étranger.

Cette opinion, toujours favorable à l’armée et facilement favorable à la guerre, ne conduit pas seule les événemens. L’empereur règne et gouverne, et, s’il consent parfois que les parlemens tiennent avec lui