Car c’est bien dur, allez, de passer sa vieillesse
Tout seul ! — Et sans jamais prendre un brin de repos
Avec un fils on vit presque une autre jeunesse,
Et si le père est las, le garçon est dispos !
La bête songe aussi ! Sa poitrine frissonne…
Elle flaire du nez les gros galets luisans ;
La falaise noircit ; — au bourg, l’Angélus sonne
Et le vieux tasse encor les goémons pesans !
Pauvre vieux père Jean ! La mer impitoyable
Gardera ton garçon et ne te rendra rien !
Console-toi, vois-tu, car les tombeaux de sable
Ne sont pas violés et l’on y rêve bien !
Je sais que si ton fils dormait au cimetière
Sous les gazons touffus où l’herbe pousse mieux,
Tu pourrais quelquefois t’asseoir sur une pierre
Et regarder ton fils ! — Te voilà déjà vieux !..
Et quand tu seras mort, sur la dune sauvage,
Personne ne viendra dans les creux de rocher,
Arracher un bouquet aux baisers de l’orage
Pour qu’il parle du flot à ton fils, le nocher !
Oh ! non, personne, va, ne viendra sur sa couche
Apporter quelques fleurs pleines de sel marin,
Et le jour où la mort aura fermé ta bouche,
Aucune voix n’ira lui conter ton chagrin !
Et puis, les malheureux n’ont pas au cimetière
Le droit d’y reposer pour leur éternité,
Et l’on peut sur ses os sentir une autre bière
Quand on dort dans un sol qu’on n’a pas acheté !..
Tandis que sous la mer, parmi les algues vertes,
On peut rêver tranquille, étendu tout au fond,
Et rien ne vient troubler aux profondeurs désertes
Les marins endormis dans les rêves qu’ils font !
Père Jean, moi qui crois que l’âme prend ses fêtes
Dans les affections qu’elle eût de son vivant,
Je te dis qu’il fait bon d’être au sein des tempêtes
Lorsque l’on fut marin et qu’on aimait le vent !
D’ailleurs, quand tu t’en vas assis dans ta charrette
Te courbant sous les grains, mais écoutant les voix
Qui s’en viennent du large et qu’un souffle te jette,
Ton fils, le bon marin, t’appelle quelquefois !
La mer t’en parle mieux qu’un nom mis sur la pierre ;
C’est comme s’il dormait à l’ombre d’un gazon,
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