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L’auteur de cette proposition, présentée le 16 floréal an III. était ce même Dupin qui, un an auparavant, le 16 floréal an II, dénonçait à la tribune les exactions et les concussions des sangsues du peuple.

Dupin se sentait menacé ; le jugement inique du 19 floréal avait été rappelé au cours du procès de Fouquier-Tinville ; Villatte, un des jurés du tribunal révolutionnaire, qui fut exécuté avec Fouquier, venait de publier un libelle écrit dans sa prison : les Causes secrètes du 9 thermidor, où il désignait Dupin, Dupin-Mouillade, le Robespierre des fermiers-généraux, comme un des séides du tyran, un adepte de Catherine Théot, un homme perdu de débauches, froidement sanguinaire, qui avait dit après le supplice de ses victimes : « La guillotine est meilleure financière que Cambon. » Villatte, espion aux gages de Robespierre, avait été dénoncé par Dupin, et le dénonçait à son tour.

Dupin comprit qu’on lui demanderait bientôt compte de sa conduite au comité des finances ; par un coup hardi, il entreprit de prévenir les accusateurs. Dans sa motion d’ordre lue à la Convention, le 16 floréal an III, il arrange à sa guise le procès des fermiers-généraux, il en rejette tout l’odieux sur la faction de Robespierre, qui avait décidé de battre monnaie sur la place de la Révolution. A l’entendre, le vrai coupable est le tribunal révolutionnaire : « J’ai le cœur navré plus que je ne puis l’exprimer, dit-il en terminant sa défense, en vous disant que le décret que la Convention a rendu sur mon rapport a été le tocsin de mort des fermiers-généraux. — Ils ont été envoyés à la mort sans avoir été jugés. »

La motion d’ordre, renvoyée par la Convention au comité de législation, loin de détourner le danger qui le menaçait, attira l’attention sur lui; attaqué d’abord dans l’Orateur du peuple, il eut bientôt à répondre à de plus redoutables adversaires. Le 21 messidor (10 juillet 1795) paraissait la Dénonciation des veuves et des enfans des ci-devant fermiers-généraux contre le représentant du peuple Dupin; elle était signée de George Montcloux fils, Paulze, veuve Lavoisier, Pignon, veuve de la Haye et Papillon de Sannois; l’ardente Mme Lavoisier paraît avoir été l’inspiratrice de ce cri de vengeance, peut-être même l’a-t-elle rédigé, car dans ses papiers se trouvent des épreuves corrigées de sa main. La brochure fut répandue à profusion, l’effet en fut immense. Le Moniteur du 19 thermidor se fit l’écho de l’opinion en demandant à la Convention d’ouvrir une enquête. Dupin s’empressa d’annoncer qu’il s’engageait à répondre par des faits positifs à cet échafaudage de suppositions et de calomnies. Tâche impossible, les faits étaient