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telle que Mme Lavoisier pourra plus tard se faire rendre sans difficulté tout ce qui a été enlevé ; les inventaires sont exactement dressés, à ce point qu’à la bibliothèque de Freschines il manquera seulement trois volumes.

L’inventaire définitif des objets de chimie fut confié à Nicolas Leblanc, le malheureux inventeur de la soude artificielle, sur la demande de Carny, chargé d’organiser l’École centrale des travaux publics (depuis École polytechnique). Leblanc y consacra quatre séances, les 19, 21, 27 et 29 brumaire de l’an III (9, 11, 17 et 19 novembre 1794), en présence des délégués de l’agence du domaine national et assisté de deux experts, un marchand verrier et un apothicaire chimiste, qui estimèrent le tout à la somme de 7,267 livres 16 sols. La collection de minéralogie fut également inventoriée le 9 nivôse ; les comités réunis d’instruction publique et des travaux décidèrent le partage des ustensiles et des objets trouvés chez Lavoisier entre le Muséum, l’Agence des mines et l’École centrale des travaux publics. Celle-ci devait avoir toute la collection de minéralogie dont le transport fut confié à Pluvinet ; elle devait partager avec le Muséum le mercure et l’oxyde rouge, dont 12 livres étaient prélevées en faveur de l’École de chirurgie.

Tout ce travail devait être en pure perte : les objets allaient être bientôt restitués à Mme Lavoisier. Le 20 frimaire an III (10 décembre 1794), les veuves et les enfans des condamnés, que la confiscation de leurs biens réduisait à la misère, avaient adressé une pétition à la Convention qui décréta de suspendre l’action des agens nationaux jusqu’à ce qu’un rapport lui fût présenté; mais le député Lecointre, deux jours après, fit rapporter le décret du 20 frimaire, en objectant qu’ordonner la révision d’un seul jugement serait déclarer qu’on pourra les réviser tous. Alors, Morellet publia sa brochure : le Cri des familles, où il discutait avec tant de vigueur les argumens de Lecointre qu’il souleva l’opinion en faveur des veuves et des enfans des condamnés, et le 13 ventôse (3 mai 1795) la Convention décida que les objets mobiliers confisqués seraient restitués aux héritiers des condamnés, les séquestres levés sans délais et la valeur des biens vendus remboursée sur le pied et aux conditions de la vente.

Néanmoins, les fermiers-généraux ayant été déclarés redevables à la nation de près de 70 millions, la loi du 13 ventôse ne permettait pas de lever le séquestre qui frappait leurs biens, quand un membre de la Convention vint proposer de déclarer que la confiscation des biens des financiers injustement condamnés serait de nul effet, et que le séquestre serait transformé en une simple opposition jusqu’à l’apuration de leurs comptes.