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avait appelé la doctrine pneumatique la théorie des chimistes français, parole imprudente contre laquelle protesta Lavoisier : « Cette théorie n’est pas, comme je l’entends dire, celle des chimistes français, elle est la mienne; c’est une propriété que je réclame auprès de mes contemporains et de la postérité. »

Tandis que Lavoisier était tout entier à son rôle plus obscur de membre des commissions scientifiques, Fourcroy s’avançait dans la carrière politique. Nommé à la Convention en 1793, il entrait de suite au comité d’instruction publique, où il contribuait à la suppression de l’Académie des sciences, que défendait en vain Lavoisier, soutenu par Lakanal et Grégoire ; partout son ardent civisme demandait des épurations : à l’Académie des sciences, à la Société de médecine, au lycée de la rue de Valois. « Caractère faible, dénué de toute espèce de ressort, » dit M. Chevreul; « plein de versatilité, » suivant Grégoire, qui fut pendant des mois son collègue au comité, Fourcroy était de ces gens qui, sans conviction profonde, sont, en temps de révolution, menés tour à tour par l’ambition et par la peur. Asservi au pouvoir, il fut jacobin fougueux et courtisan de Bonaparte; le 18 frimaire an II (8 décembre 1793), pendant le scrutin épuratoire au club des jacobins, il répondait à Montant qu’il n’avait pas le temps de parler plus souvent à la Convention parce qu’il nourrissait de son travail ses sans-culottes de sœurs et son sans-culotte de père, et, s’il avait professé au Lycée des arts, c’était dans l’intention de le sans-culottiser ; et, six ans après, il mourait de chagrin, parce qu’il croyait avoir encouru la disgrâce de Napoléon.

Cependant il ne manquait pas de vertus privées : pendant la Terreur, il sauva le chimiste Darcet et eut la délicatesse de le lui laisser ignorer; il prit une part active aux grands travaux du comité d’instruction publique, mais la faiblesse de son âme l’a empêché de tenter des démarches qui eussent pu le compromettre ; il l’avoue lui-même quand, dans l’éloge de Lavoisier, il s’écrie : « Reportez-vous à ces temps affreux... où la terreur éloignoit les uns des autres même les amis, où elle isoloit les individus des familles jusque dans leur foyer, où la moindre parole ; la plus légère marque de sollicitude pour les malheureux qui vous précédoient dans la route de la mort, étoient des crimes et des conspirations. »

C’est donc bien la peur qui a retenu Fourcroy, et on ne saurait, pour l’excuser, admettre avec M. Chevreul que toute démarche pour sauver Lavoisier eût été inutile. Certes, à la dernière heure, au jour du jugement, il était trop tard, mais la mort de Lavoisier n’a pas été un de ces coups de foudre qu’on ne pouvait prévoir; des dévoûmens puissans, des amitiés ardentes auraient eu le temps