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l’honneur de l’humanité, étaient sans doute convaincus de la culpabilité des fermiers-généraux, proclamée par le rapport de Dupin et le décret de la Convention, après un examen de comptes qui avait duré plus de cinq mois. Mais le tribunal révolutionnaire n’avait pas le moyen de frapper des crimes de concussions commis avant la révolution. Quel article de loi pouvait être invoqué contre les fermiers-généraux, à quel titre demander une condamnation? Le génie retors de Coffinhal, ancien procureur au Châtelet, suppléa au silence de la loi par la forme qu’il donna aux questions posées au jury :

« A-t-il existé un complot contre le peuple français tendant à favoriser par tous les moyens possibles les ennemis de la France, en exerçant toute espèce d’exactions et de concussions sur le peuple français, en mêlant au tabac de l’eau et des ingrédiens nuisibles à la santé des citoyens, en prenant 6 et 10 pour 100, tant pour l’intérêt des différens cautionnemens que pour la mise des fonds nécessaires à l’exploitation de la ferme générale, tandis que la loi n’en accorde que quatre, en retenant dans leurs mains des fonds qui devaient être versés au trésor national, et en pillant et volant par tous les moyens possibles le peuple et le trésor national, et pour enlever à la nation des sommes immenses et nécessaires à la guerre contre les despotes soulevés contre la république et les fournir à ces derniers? »

Ainsi Coffinhal avait l’infamie d’accuser, sans aucun indice, les fermiers-généraux de complicité avec l’étranger, crime digne de la mort ; il inventait des accusations nouvelles dont ne parlaient ni le rapport de Dupin, ni le réquisitoire de Fouquier, et, dédaigneux de toute vraisemblance, prétendait que les intérêts abusivement prélevés avant 1780 privaient la nation des sommes nécessaires à la guerre de 1794.

Le jury à l’unanimité déclara les accusés coupables ; l’heure pressait, les charrettes attendaient la fournée des condamnés pour les conduire à la place de la Révolution, la hâte des juges était telle que la déclaration du jury ne fut pas inscrite sur la minute du jugement, comme on peut le constater encore sur la pièce originale. Dobsen relèvera ce fait lors du procès de Fouquier-Tinville.

Coffinhal prononça le jugement : « La déclaration du jury portant qu’il est constant qu’il a existé un complot contre le peuple français tendant à favoriser, de tous les moyens possibles, le succès des ennemis de la France;..

« Que Clément Delaage, Danger-Bagneux, Paulze, Lavoisier (suivent les noms des autres fermiers-généraux), sont tous convaincus d’être auteurs ou complices de ce complot ;