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jurés où siégeait Leroy, autrefois marquis de Montflabert, aujourd’hui affublé du nom de Dix-Août, le coiffeur Pigeot, le luthier Renaudin, le joaillier Klispis, le vinaigrier Gravier, Auvray, employé aux diligences, avec Desboisseaux, Thoumin. Garnier, Gemond, Devèze et Ganey. En face des juges, les défenseurs officieux : Chauveau-Lagarde, Guesde, Guyot et La Fleutrie. Le défenseur de Lavoisier, Sézille, ne parut pas à l’audience; des gendarmes, baïonnettes au bout du fusil, entouraient les gradins des accusés; une foule nombreuse assistait aux débats.

A l’ouverture de l’audience, Coffinhal fit subir aux accusés un bref interrogatoire, semblable à celui de la veille; de plus, il demanda à chacun s’il était noble et ce qu’il avait fait depuis la révolution : « Les jurés, les juges eux-mêmes se permirent de tourner en dérision plusieurs réponses et de donner à d’autres l’interprétation la plus cruelle et la plus fausse[1]. » Les interrogatoires durèrent une heure et demie ; la séance fut suspendue pendant vingt minutes, à la reprise, le greffier donna lecture de l’acte d’accusation, puis le substitut Liendon posa une question qui ne fut pas comprise des accusés. Sanlot, interpellé par le président, répondit qu’ayant été seulement adjoint et ayant quitté la ferme depuis plus de dix ans, il n’était pas en mesure de répondre: Delaage déclara s’en référer au mémoire justificatif. Coffinhal s’adressa alors à Saint-Amand : « Voyons si M. de Saint-Amand, qui gouvernait si despotiquement la ferme générale, se trouvera plus en état de répondre. » Saint-Amand fit remarquer qu’il ne comprenait pas la question posée par l’accusateur public ; alors Liendon déclara l’abandonner et reprocha aux fermiers-généraux d’avoir présenté au ministre de faux états des produits du dernier bail pour servir de base au prix de celui qu’ils proposaient à l’état. À cette inepte accusation, il était facile de répondre, comme le fit Saint-Amand, que le prix des baux se réglait d’après les états dressés dans les bureaux du ministère, et non d’après ceux qu’établissait la ferme. Coffinhal l’interrompit violemment, et signifia aux accusés d’avoir à répondre par oui et par non ; le tribunal était décidé à juger sans désemparer et ne leur permettrait pas d’entrer dans des détails qui leur feraient gagner du temps. Toute défense personnelle ou collective était interdite; les financiers comprirent qu’aucun d’eux n’échapperait à la mort : un seul, Didelot, conserva l’espoir jusqu’au dernier moment. Chargé de la liquidation de la régie des domaines, il sortait chaque matin de l’Hôtel des fermes et n’y rentrait que le soir à neuf heures; un seul gardien l’accompagnait. Didelot n’avait pas été compris dans le transfert des prisonniers

  1. Mémoires de Delahante.