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l’objet, du sort dont ils étaient menacés; confiance naïve, que beaucoup gardèrent, d’après Mollien, jusqu’au jour où ils furent conduits à la Conciergerie. Le décret du 24 septembre ayant fixé la date du 1er avril 1794 comme dernière limite pour la liquidation de la ferme, ils se mirent au travail, en même temps que les commissaires reviseurs examinaient les pièces qui leur étaient confiées.


III.

Lavoisier ne paraît pas s’être joint à ses collègues ; d’importantes occupations le retenaient alors. En même temps qu’il poursuivait ses recherches sur la dilatation des métaux pour la construction du mètre-étalon, il s’occupait d’organiser la nouvelle commission des poids et mesures, et continuait son active collaboration au bureau de consultation, qui remplissait un rôle analogue à celui de notre comité consultatif des arts et manufactures et de la Société d’encouragement ; de plus, il avait à terminer ses comptes de gestion comme trésorier de l’Académie des sciences, supprimée depuis peu. Cependant son dévoûment de chaque jour à la chose publique, les services rendus à la nation comme membre des assemblées provinciales et commissaire de la trésorerie nationale, la gloire qu’il s’était acquise dans les sciences, loin de le protéger, contribuèrent à sa perte. Ses hautes fonctions à la ferme générale, à la régie des poudres et salpêtres, son titre d’ex-noble, de membre de la ci-devant Académie des sciences, à une époque où, suivant Grégoire, le titre de savant était devenu suspect, lui avaient attiré de nombreux ennemis.

Déjà il avait été, en 1791, l’objet d’une dénonciation violente de Marat, qui regrettait que Lavoisier n’eût pas été accroche à la lanterne le 6 août 1789, à la suite d’une émeute où les régisseurs des poudres avaient manqué perdre la vie. Marat avait cherché, au début de sa carrière, à se faire un nom dans les sciences; avide de bruit et de gloire, il avait sollicité les couronnes académiques et exposé des théories infécondes dans un mauvais traité sur la nature du feu[1]. Il avait pour Lavoisier la haine de la médiocrité envieuse; son âme, pleine de rancune, n’oubliait pas qu’en 1780, le Journal de Paris ayant annoncé à tort que le Traité du feu avait eu l’approbation de l’Académie, Lavoisier avait démenti le fait en quelques paroles dédaigneuses. Aussi, quand il posséda l’Ami du

  1. Dans ses Recherches physiques sur le feu, publiées en 1780, Marat admet qu’une bougie s’éteint dans un espace limité, parce que l’air violemment dilaté par la flamme, ne pouvant s’échapper, la comprime violemment et l’étouffe.