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entourant une cour. La partie qui fait façade est traversée par un long couloir qui donne accès sur la cour; et des deux côtés de cette entrée se trouvent deux chambres dont le sol est couvert de nattes. Elles sont réservées aux étrangers qui s’arrêtent au village. Toute la vie intérieure des hommes de la maison se passe sous cette porte où règne un perpétuel courant d’air. C’est là qu’ils causent et fument, tandis que les femmes demeurent enfermées dans le reste du logis. C’est là qu’on se raconte toutes les nouvelles de la région et qu’on se rassemble pour écouter les derviches et les voyageurs. Il s’y passe parfois des scènes amusantes.

A Chabounkara, un singe était attaché sous cette porte. Chaque homme qui passait là, et il en passait beaucoup, enlevait sa coiffure et lui présentait sa tête. Le singe, sans manifester d’étonnement, habitué à ce manège sans doute, plongeait ses petites mains dans les longs cheveux, les écartait avec des gestes fébriles, tout en les examinant avec le plus grand sérieux. Nous comprîmes tout de suite qu’il cherchait la petite bête. Toutes les fois que son attentive application le conduisait à un résultat, sa physionomie mobile s’éclairait brusquement ; il saisissait l’objet, le portait à sa bouche et, redevenu grave, il le grignotait à la manière arabe.

Parfois nos hôtes nous donnaient à choisir entre cette chambre et l’ombre d’un arbre. Nous préférions toujours ce dernier abri, parce qu’il nous permettait de ne perdre aucune des brises qui effleuraient la plaine. Nous avons ainsi passé sous de grands figuiers de charmantes journées.

Les khans qui gouvernent les petites villes des bords du golfe sont à la fois des administrateurs et des commerçans. En relations continuelles avec les maisons européennes de Bender-Bouchir et de Bassorah, ils ont acquis une façon de traiter les affaires plus en rapport avec nos mœurs que celle de leurs congénères de l’intérieur. A Chiraz, un petit marché peut durer un mois, mais il dure au moins plusieurs jours. Le vendeur demande d’abord un prix exorbitant, l’acheteur fait une offre dérisoire ; puis, à chaque fois qu’ils se rencontrent au bazar, l’un baisse son prix, l’autre augmente son offre, et, au bout de quelque temps, ils s’accordent à peu près à la valeur réelle de l’objet. Mais le marchand diminue d’autant moins ses prétentions que le client lui paraît plus pressé ou plus désireux d’acquérir. Celui des deux qui a le mieux le temps d’attendre a tout l’avantage. Cette façon d’agir leur est préjudiciable vis-à-vis des Européens, auxquels ils font des prix exagérés, les voyant toujours pressés de conclure; alors ceux-ci n’achètent pas. Aussi, à Téhéran et à Bender-Bouchir, les Persans ont-ils renoncé à ces mœurs et traitent-ils les affaires d’une façon relativement rapide.