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qui paraît monstrueux aux Persans, chez qui l’étiquette est observée avec une rare précision. Les chefs de tribu vivent entourés de l’estime générale, ne se livrant à aucun travail, restant graves, assis sous leurs tentes. Ce manque absolu de mouvement, marque de leur dignité, rend tous les vieux cheiks impotens et goutteux, ce qui contraste singulièrement avec leurs alertes et maigres sujets. Au reste, ils ne peuvent exiger aucun acte d’obéissance autre que le paiement de l’impôt, sans quoi on fuirait vers un autre campement. Le titre de cheik est héréditaire et appartient à tous les fils; mais l’autorité ne revient qu’à un seul, généralement l’aîné, à moins que le gouvernement ou la tribu elle-même n’exige que le pouvoir soit exercé par un autre membre de la famille.

Dans une région, le chef de la plus grande tribu, de laquelle les petites sont en général des rejetons, a une sorte d’autorité sur les autres cheiks. Il les réunit à un jour donné et il distribue à chacun les pâturages suivant l’époque de l’année. Les collisions qui se produiraient si deux tribus voulaient occuper en même temps le même point sont ainsi évitées. C’est aussi le moyen de tirer le meilleur parti possible des herbages. Telle partie sableuse de la plaine produit exclusivement des graminées dont l’épi est très barbelé et qu’il est impossible de faire paître aux troupeaux quand il est sec. Le grand cheik concentre, au commencement du printemps, avant que l’épi ne soit formé, toutes ces tribus à cet endroit. Cette ressource épuisée, il disperse les campemens sur tous les points où la venue des chardons empêchera de pénétrer un mois plus tard. Il réserve pour la fin les lieux où croissent l’herbe tendre et la folle avoine. Il distribue aux propriétaires de buffles les territoires qui bordent les fleuves. Son autorité ne va pas plus loin. Il a sa tribu qu’il administre comme les autres, il y perçoit l’impôt : c’est aussi à lui que les petits cheiks versent leur tribut, et il sert d’intermédiaire entre le gouvernement et eux.

Quelques-uns de ces grands cheiks groupent autour d’eux d’énormes campemens; leurs tentes noires, qui abritent parfois une population de 5 à 6,000 âmes, couvrent la plaine comme de véritables villes. Leurs cavaliers sont nombreux et hardis, et pourraient tenir tête aux troupes royales s’ils avaient le moindre soupçon de discipline. vêtus, comme leurs hommes, de laine, un peu plus finement tissée peut-être, les cheiks ne font point montre de cette puissance et de cette richesse réelle : point d’éclatans costumes, point de belles armes ou de superbes harnachemens pour les chevaux. Sous la domination persane, tout faste extérieur serait d’ailleurs une imprudence et une tentation pour le gouverneur royal de s’emparer d’une richesse ainsi manifestée.