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croissans, étaient, il y a quelques années, très riches. Ce fait est facile à comprendre. Les nomades retirant de leurs troupeaux le vivre et le couvert, n’ayant d’ailleurs aucun besoin factice, n’achètent presque rien ; ils vendent au contraire beaucoup : la laine, le beurre, les chevaux, les mulets, les chameaux.

Au printemps, lorsque vient le moment de tondre les troupeaux, une activité inusitée secoue tous les campemens. Entre les tentes, ce ne sont que groupes de femmes tenant les moutons, tandis qu’un homme fait tomber l’épaisse toison et que les enfans dansent et glapissent. C’est le seul moment de travail pour les hommes, car les femmes sont toujours fort occupées. Il leur faut courir la plaine pour recueillir ci et là les brindilles des rares buissons. La recherche du bois à brûler est leur perpétuel souci : on les voit rentrer aux campemens par files de dix ou douze, portant sur la tête d’énormes paquets. Puis, il faut préparer les alimens, écraser le blé entre deux meules que l’on tourne à la main, pétrir, faire cuire le pain, traire les troupeaux. Les hommes aident un peu pour ce dernier travail, qui se fait au point du jour, avant le départ pour le pâturage, dans la tiède buée qui monte des tentes et de toutes ces bêtes réunies. Les jours de grosse besogne sont surtout ceux où la tribu lève le camp. Il faut tout plier, attacher et fixer sur le dos des chameaux, des mulets et même des vaches. Sur le haut des charges, on juche de tout petits enfans, sans se soucier des chutes fréquentes qu’ils font pendant l’étape : ceux qui résistent deviendront évidemment excellens cavaliers. Les premiers prêts s’en vont; les autres suivent à mesure, et c’est une pittoresque confusion de troupeaux, d’hommes, de femmes et d’enfans. Le soir on s’arrête, on plante les tentes, et l’on recommence au bout de quelques jours.

Le beurre est, après la vente des chevaux et des chameaux, la plus grosse source de revenus. Poor le fabriquer, les femmes agitent violemment une outre pleine de fait suspendue à trois bâtons croisés. Ce procédé primitif et fatigant leur permet néanmoins d’obtenir du beurre. Elles ne lui font subir aucune autre préparation que de le faire fondre pour le séparer de l’eau, puis elles le coulent dans des outres. C’est alors le rooughan que les Persans emploient pour leur cuisine, et dont ils sont si friands qu’ils le mangent à pleines mains jusqu’à s’en rendre malades. De petits marchands viennent acheter ces produits et porter aux Arabes les objets qu’ils ne savent point fabriquer, en particulier les outils de fer. Ces colporteurs circulent sur le territoire des tribus les plus pillardes sans être jamais inquiétés, les nomades, qui ne fréquentent pas volontiers les villes, ayant constamment besoin d’eux.