Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soir quelques-uns seront abandonnés et qu’il y aura festin d’entrailles palpitantes et de chair encore chaude.


II.

La constitution géologique du pays compris entre une ligne allant de Ram-Hormuz à Bebahan et la mer est peu variable. Ce sont presque partout des marnes d’où sortent par places des massifs d’un poudingue analogue à celui de Disfoul et Chouster. Tout le long de la côte règne un calcaire de formation très récente, qui renferme dans sa masse de nombreux fossiles absolument semblables aux animaux qui vivent encore aujourd’hui dans le golfe.

La plaine qui s’étend tout autour de Ram-Hormuz ressemble beaucoup à la Susiane. Sur le même sol marneux croissent les mêmes plantes ; c’est au mois de juin que nous l’avons traversée. Les chardons tardifs étaient depuis longtemps jaunis ; les grandes chicorées sauvages, très abondâmes, ne portaient plus que des lambeaux imperceptibles et desséchés de feuilles. Le tronc seul avait échappé à la voracité des sauterelles. On entendait encore leur innombrable multitude bruire sous les hautes herbes. Il faisait une chaleur de fournaise. Il eût fallu ne pas sortir après huit heures du matin. Mais la longueur des étapes, la difficulté de s’orienter la nuit, nous obligeaient toujours à rester dehors jusque vers dix ou onze heures. Ces matinées étaient vraiment pénibles : on respirait un air embrasé, le sang affluait à la tête et produisait des bourdonnemens d’oreilles ; puis la vue se troublait, les tempes devenaient douloureuses ; la chaleur était d’autant plus difficile à supporter qu’elle s’ajoutait à la fatigue d’une nuit de marche. Heureusement, nous avons toujours pu gagner la fin de l’étape et éviter les insolations dont nous étions chaque jour menacés. La sécheresse était presque absolue, la nuit n’avait point de rosée ; c’est grâce à cela que nous avons pu supporter d’aussi hautes températures. L’air est tellement sec en cette saison que la peau n’est jamais moite, la transpiration est évaporée à mesure qu’elle se produit.

Cette plaine est arrosée par l’Allar et quelques ruisseaux qui s’y jettent. Le long de leurs cours, le pays est un peu frais. Il y a, comme en Susiane, de grandes forêts de saules et de tamaris, et elles y sont tout aussi mal fréquentées ; plus mal même, car, outre les fauves, elles abritent des gardiens de buffles arabes, sorte d’outlaws qui ont fui le territoire de leur cheik pour ne plus payer l’impôt. Sans maîtres, insoucieux de la ruine du pays environnant, ils suivent le long du fleuve et dans les marécages leurs buffles qui paissent la grande herbe parfumée de menthe, et ils pillent entre temps les rares voyageurs qui s’aventurent de ce côté.