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au pied de la montagne. Elles sont exploitées entre Ram-Hormuz et Chouster et donnent un pétrole blanc très pur. D’autres ont été récemment trouvées à Daliki ; mais leur produit est très impur et très noir. Le pétrole suinte de partout et forme des flaques de boue noire et empestée. L’eau des ruisseaux voisins de ces points en est chargée, et la décomposition de l’hydrogène sulfuré qu’il contient y produit un épais dépôt de soufre d’un beau jaune. Depuis deux ou trois jours, nous observions que l’air était chargé d’émanations fétides qui filtraient du sol : près des sources, elles étaient plus prononcées encore. Ce fait donne à penser que la zone pétrolifère s’étend très loin, et il serait peut-être possible d’y trouver quelques points d’exploitation facile.

La seule route, actuellement pratiquée, qui met en rapport la plaine de l’Arabistan avec le reste de la Perse, est celle de Bouchir à Chiraz. Le 20 juin, nous entrions dans la montagne, avec satisfaction, car la chaleur commençait à devenir un peu forte en plaine, et nous soupirions après la fraîcheur de Chiraz ; fraîcheur toute relative d’ailleurs, car le thermomètre y marquait à l’ombre 45 degrés. Depuis longtemps, nous n’avions vu aucun objet qui rappelât notre civilisation d’Occident, aussi fûmes-nous ravis en apercevant tout à coup un pont jeté sur un torrent. Voilà donc une rivière que nous allons traverser sans risquer de nous noyer! Tout auprès, un poteau du télégraphe que les Anglais ont établi à travers toute la Perse de Bender-Bouchir à Téhéran.

La route que nous suivons est très fréquentée. Deux cents mulets partent chaque jour ou plutôt chaque nuit de Chiraz pour Bouchir; il en passe autant dans l’autre sens. C’est un continuel bruit de clochettes. A chaque instant, on croise une caravane, les mulets passent dans un nuage de poussière, les muletiers s’appellent pour relever une bête tombée, pour refaire une charge dont l’équilibre est compromis. Nous sommes très surpris de tout ce bruit et de toute cette activité, qui succèdent pour nous presque sans transition à la vie dans les grandes plaines nues, brûlées, où l’on n’entend même pas un bourdonnement d’insecte dans les heures chaudes du jour. Le matin et le soir seulement, on voit une bande de chameaux qui passe avec des airs bizarres, ou un pâtre à demi-nu qui suit d’un air nonchalant son troupeau de chèvres. C’est du mouvement, mais ce n’est pas de l’activité.

Les caravanes qui viennent de l’intérieur apportent à Bouchir des tapis, des balles de coton, d’opium, de tabac. Elles emportent, au retour, les marchandises d’Europe amenées par les bateaux anglais : les allumettes d’Italie et d’Autriche, les cotonnades anglaises, le thé de l’Inde, les bougies et le sucre de France. Depuis quelques années, l’importation du sucre et du thé est devenue très considérable