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— Retourne seul si tu veux ; mais nous avons besoin de tes quatre pieds pour porter nos bagages et nous les gardons.

Et, tout en parlant, nous rassemblons les mulets et nous les poussons devant nous. Entre le danger possible d’être volé par les Arabes et le danger certain de s’opposer à notre volonté, il n’hésite pas et prend le sage parti d’aller où iront ses bêtes.

Un soldat persan, grimpé sur son petit âne, et qui se rendait à Bebahan ne savait pas non plus quel chemin suivre. Il nous demanda l’autorisation de se joindre à nous, plus confiant pour sa sécurité dans la bonne renommée de courage dont jouissent les Européens que dans le prestige de son uniforme de soldat royal. Il n’avait d’ailleurs pas grand air, et la petite pipe à fumer l’opium passée dans sa ceinture expliquait de reste son aspect maladif. Cette coutume, pour n’être pas très répandue chez les Persans, ne laisse pas que de produire de grands ravages : car ceux qui s’y adonnent le font avec excès.

C’est de cette façon, assez peu brillante, que commença la seconde partie de notre voyage.


I.

Nous nous sommes d’abord dirigés au sud-ouest de Ram-Hormuz, sur un plateau ; puis une première descente, très brusque, nous a conduits dans la petite plaine de Zeitun et, par une seconde rampe également rapide, nous avons gagné les bords du Golfe-Persique. De là nous avons suivi la mer jusque auprès de Bender-Bouchir, et nous avons atteint Chiraz en traversant une nouvelle fois la montagne de l’ouest à l’est.

La partie du plateau voisine de Ram-Hormuz est entièrement ruinée par une guerre récente. Naguère encore, ce pays était très florissant, ainsi que l’attestent les nombreux villages groupés à droite et à gauche de la route que nous suivons. A chaque fois que nous en rencontrons un, nous lançons nos chevaux au galop pour voir si l’on ne pourrait pas y trouver à la fois un abri contre le soleil qui nous aveugle et des provisions pour déjeuner. La même scène de silence et de désolation se reproduit k chaque fois ; pas un chien n’aboie, les maisons sont vides et abandonnées. Et nous continuons notre route la tête alourdie et les oreilles bourdonnantes. Dans un seul endroit, nous trouvons un tas d’oignons, et comme nous étions depuis longtemps privés de nourriture végétale, nous nous empressons d’en faire une petite provision, qui nous dura jusqu’à Chiraz.

Après deux pénibles journées, nous arrivons dans la partie du plateau que la guerre n’a pas aussi profondément troublée. Nous pourrons désormais nous procurer un guide à chaque étape et nous