Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mémoire traversa ses yeux agrandis. Il dégagea sa main et la tendit à mademoiselle, qui la prit ; elle était glacée ; il essaya de parler, mais le son s’évanouit sur ses lèvres. Une grosse larme vint mouiller sa paupière. Juliette l’essuya du bout de ses doigts roses, puis elle le fit rentrer avec une douce autorité filiale. Quand il fut assoupi, elle revint à la porte surveiller comme chaque jour le chemin par lequel Simon devait revenir. Elle se sentait heureuse de payer au vieillard sa dette de reconnaissance, mais elle souffrait beaucoup de l’absence du jeune homme. Maintenant que le collège était licencié, qu’il n’avait plus rien à faire, peut-être allait-il partir comme beaucoup d’autres, partir sans la voir, partir après avoir éveillé en elle un sentiment de vie et d’espérance. Elle ne pouvait croire qu’il fût possible de retomber ainsi brusquement dans l’ombre après avoir entrevu le ciel.

Un jour, par une belle matinée chaude, le père Rousselin, à son réveil, s’était senti un peu de force. Quand mademoiselle vint s’informer de la nuit, elle le trouva vêtu comme autrefois ; il s’était traîné à la glace pour remettre sa perruque droite et enfermer son cou dans une haute cravate de batiste. Son gilet à fleurs flottait sur sa maigre poitrine, et ses pauvres petites jambes faisaient des saillies osseuses sous son pantalon de toile jaune.

Il accueillit la jeune femme avec un joyeux sourire.

— Hein ! dit-il, vous ne vous attendiez pas ?., je suis tout à fait bien. — Il se mit debout, cambra sa petite taille. — Avant peu, je pourrai reprendre mon cours.

Il avait oublié l’événement, il croyait simplement qu’il avait été malade ; il essaya d’aller à mademoiselle avec cette démarche sautillante qui était sa façon de marcher ; mais, au premier pas, il trébucha et serait tombé, si elle n’était venue promptement le soutenir.

— Je suis encore faible ; c’est singulier, dit-il, pourtant je voudrais sortir. Si vous vouliez, vous qui êtes si bonne, si bonne, appuyé sur vous, j’irais jusqu’à la rivière.

Elle assujettit le bras du vieil homme sous le sien, et lentement, lentement, ils traversèrent la cour ; il s’arrêtait à chaque pas, il était haletant, le grand air lui donnait le vertige ; quand il se sentait faiblir, il s’abandonnait avec confiance sur le bras qui le soutenait, il se sentait bercé et porté à la fois. Les parfums de la jeune femme, mêlés à la senteur des plantes, enivraient sa pauvre tête affaiblie. Pour lui, cette première promenade était une caresse prolongée.

Quand ils furent arrivés à la terrasse, elle l’adossa contre la grille et traîna jusqu’à lui un siège rustique ; il s’assit lourdement