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— Et vous revenez tout à fait ?

— Oui, dit-il, tout à fait ; où voulez-vous que j’aille ?

— j’ai eu peur que vous ne revinssiez pas. Pourquoi êtes-vous parti sans me dire adieu ? Cela m’a fait de la peine d’apprendre votre chagrin par d’autres.

Il écoutait, surpris de cet intérêt nouveau exprimé avec un accent tendre ; il n’était point habitué à pareilles attentions.

Elle éprouvait maintenant un peu de malaise de la démarche qu’elle avait faite ; son âme lui avait échappé, sa raison venait de la reprendre.

— Au fait, dit-elle, vous venez voir le principal, pardon de vous avoir arrêté.

Simon était lui-même dans cette disposition d’esprit où les âmes les plus froides ont besoin de charité ; il avait été très malheureux, il adorait sa mère, et rien, dans la maison paternelle, n’avait adouci son absence. Depuis son départ, il souffrait sans rien dire. Cette pitié sincère, cette parole caressante qui venait lui donner cette sensation chaude de la douleur comprise et partagée, l’attendrit à l’extrême ; il rendit à la main qui le pressait encore une étreinte fraternelle.

— Merci, dit-il, parlez encore, il sera toujours temps de prévenir de mon retour.

Il était surpris de rencontrer, au seuil de cette maison banale, une parole amie qui le consolait. Il éprouvait, pour la première fois, depuis de longs jours, un sentiment de repos et de détente indicible.

— Si vous saviez comme j’ai prié pendant votre absence pour celle que vous avez perdue ! Mais j’oublie que vous doutez de mon Dieu et que vous ne croyez pas aux prières.

Elle avait quitté la main du jeune homme et marchait vers la maison ; elle craignait sa réponse.

— Si je ne crois pas à votre Dieu, que je trouve trop petit, je crois à la prière, et je vous bénis pour le bien que vous me faites.

Maintenant elle pressait le pas ; quand ils furent à la porte du parloir, elle le quitta et rentra dans sa chambre. Elle était heureuse de son retour, mais un peu inquiète de l’intérêt qu’elle avait montré dans un élan irrésistible. Elle connaissait si peu encore celui qui déjà habitait sa pensée.

Depuis cette soirée, Simon allait à la jeune femme chaque fois qu’il l’apercevait ; il avait soif maintenant de cette sympathie douce. Sa douleur partagée lui semblait moins amère, celle qu’il avait perdue moins absente, puisqu’il pouvait parler d’elle.

Il raconta à Juliette son enfance et sa vie. Cette intimité rêvée par elle était devenue peu à peu une nécessité pour lui.