Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/832

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lui, peu à peu, s’était encore rapproché ; leurs genoux se touchaient presque. Il prenait timidement les gousses une à une, il suivait avec admiration le mouvement rapide des doigts de la jeune femme. Elle restait songeuse, indifférente ; il était surpris qu’elle ne fût point émue, car lui tremblait et n’allait pas vite en besogne.

Elle ne disait rien, pensait à ses affaires et, certainement, avait oublié la présence de son partenaire. Lui, regardait les mains, les bras polis comme du marbre ; il n’osait élever les yeux jusqu’au visage. Il avait fait deux ou trois tentatives pour engager la conversation, mais les mots ne venaient pas, les expressions humaines restaient au-dessous de sa pensée ; il aimait mieux s’abstenir.

La tâche fut vite achevée, trop vite à son gré. Elle sonna pour faire emporter les légumes :

— Adieu, monsieur Rousselin ! dit-elle en dénouant le tablier qu’elle avait mis pour protéger sa robe ; à demain !

Il sortit lentement et s’en alla, comme les jours précédens, s’étendre dans la prairie pour contempler au-dessus des arbres de la terrasse la toiture de son temple.

Chaque jour il venait ainsi s’enivrer d’elle pendant une heure, essayant de se rendre utile pour se faire tolérer. Il l’aidait dans ses écritures, ou bien, quand elle rangeait le linge, il lui passait les piles de serviettes pendant qu’elle, perchée sur un escabeau, les plaçait dans les cases. Il lui arrivait bien parfois d’en laisser glisser une : — Maladroit ! criait-elle. — C’est qu’en donnant le linge, leurs mains s’étaient rencontrées sous la pile et qu’il s’était trop attardé dans cette caresse innocente. Elle sautait lestement à terre, repliait la serviette ou le drap et le remettait en place. La besogne terminée, elle le renvoyait doucement, et lui s’en allait en emportant comme seul bonheur le : « À demain ! » qu’elle laissait négligemment tomber de ses lèvres.

Souvent après l’avoir quittée, afin de s’occuper d’elle encore, il faisait de longues courses dans la campagne pour lui chercher des fleurs sauvages. Il connaissait des haies toutes pleines d’églantines à la douce odeur de thé ; il allait les cueillir avant qu’elles fussent écloses, ou bien des clématites et des belles-des-prés au parfum d’amande. La nuit, il se levait pour renouveler l’eau afin qu’elles fussent fraîches, le lendemain, quand il les lui portait, comme à une madone. Si elles avaient su redire toute la confidence qu’elles avaient entendue !

Avez-vous vu parfois dans le cœur d’une rose épanouie un gros scarabée d’or dont le corsage brille au soleil comme l’armure d’un chevalier ? On le croirait mort, regardez-le bien, il n’est qu’ivre. Ses antennes s’agitent lentement et ses pattes s’étirent comme pour manifester la joie qu’il éprouve au sortir d’un rêve. Si vous le touchez,