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Le divertissement terminé, les danses reprenaient ; dans les entr’actes, le sirop de groseille coulait comme une source, et de jolies dents blanches croquaient les pommes rouges. Par les fenêtres ouvertes, de doux parfums de clématite, d’acacia et de tilleul venaient atténuer les odeurs de victuaille et de chaleur humaine. Le voisinage de la rivière apportait une fraîcheur humide d’une saveur reposante. Les lumières s’éteignaient comme les étoiles du ciel commençaient à pâlir : élèves et professeurs, les jambes brisées, remontaient aux dortoirs, le père Rousselin rentrait son violon dans sa gaine de serge, et marchait lentement vers sa maison des faubourgs.

Pendant ce temps, Mlle Juliette, qui prenait là, comme partout, plus de peine que de plaisir, faisait sa tournée du soir. Comme un instrument dont les vibrations s’éteignent, on entendait longtemps encore un murmure s’échapper des bâtimens du collège. Puis, la maison endormie, calme et fatiguée, mais heureuse, mademoiselle gagnait elle-même sa cellule de nonne.

Chaque année, les choses se passaient ainsi ; les élèves se succédaient, les petits devenaient les grands, et faisaient par tradition ce qu’avaient fait leurs aînés.

Le père Rousselin, lui, semblait défier les années ; sa tête de casse-noisette se creusait bien, par places, de rides nouvelles, mais il avait toujours l’œil vif et le jarret alerte. Il se plaignait parfois de sa vie solitaire et de la tristesse de son foyer ; il avait souvent des crises de mélancolie ; mais tout cela était si peu d’accord avec sa tournure de pantin articulé, qu’on n’y prêtait point d’attention.


IV.

En soir d’été, à l’occasion du mariage d’un jeune professeur, le père Antoine avait réuni quelques intimes. Il invita le père Rousselin, et, après le dîner, dans le grand parloir du rez-de-chaussée, on se mit à danser.

Tous les élèves étaient endormis, à l’exception de quelques grands, qu’on avait retenus pour faire des cavaliers. L’un d’eux demanda à Mlle Juliette la faveur d’un tour de valse ; elle la lui accorda, c’était une belle grâce. Le maître de danse, du haut de sa grande chaise, considérait avec inquiétude la tentative hardie de son élève : il ralentit la mesure, marquant bien le temps avec son pied ; mais l’enfant, intimidé, partit à faux, ne put se rattraper, écrasa les pieds de sa danseuse, s’embarrassa dans ses jupes et finit par l’abandonner au milieu de la salle, confus de dépit et de honte.

— Petit maladroit ! s’écria le maître, est-ce là ce que je vous ai