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cause, puis de grands silences, en attendant la pièce principale. Comme les dernières étincelles s’éteignaient dans la rivière, avant que la fumée et la poudre fussent dissipées, tout le petit monde était réuni dans la salle de danse. Le père Antoine se dirigeait vers l’estrade où s’étalaient tous les présens et les examinait avec des surprises joyeuses : — C’est trop, c’est trop, mes enfans ! — Et d’une voix assourdie, le visage rouge d’émotion, les yeux humides de larmes contenues, il remerciait par des paroles simples ses élèves et ses amis. Puis, appelant Mlle Juliette qui se tenait dans l’ombre, il mettait sur ses joues roses de plaisir deux baisers retentissans. Elle, après cette récompense, s’en allait gaîment par la grande salle, frappait ses deux mains et criait : Monsieur Rousselin ! Monsieur Rousselin ! à votre orchestre, en place, en place pour la contredanse !

Mademoiselle était tout à fait charmante ainsi ; sa robe de soie, un peu brillante par place, faisait valoir sa belle taille souple et mince ; sa chevelure blonde était soigneusement coiffée, et son col de lingerie rehaussait la blancheur mate de sa belle peau de vierge.

Ce jour-là, le père Rousselin, qui avait un premier rôle dans cette fête de famille, échangeait sa redingote marron contre l’habit bleu à boutons d’or des grands jours, et remplaçait sa cravate de guingamp par une cravate de percale blanche où son menton de galoche disparaissait jusqu’aux lèvres ; il mettait un pantalon blanc, des bas de soie rosés et des escarpins à boucles d’argent. Son toupet, comme fraîchement verni, répandait à la ronde un parfum pénétrant de jasmin. Il montait sur sa chaise haute, accordait son violon et commençait une contredanse.

Les grands, ceux qui étaient frisés et qui portaient des habits civils, se précipitaient, suivis des professeurs jeunes. Souvent les danseuses venaient à manquer ; les mères, par complaisance, se mettaient de la partie, et bientôt, sans distinction d’âge, toutes les femmes tournaient aux bras des collégiens.

Vers dix heures, le père Rousselin disparaissait ; les initiés faisaient des gestes fins qui annonçaient une surprise. Bientôt la porte du fond s’ouvrait à deux battans, et le corps de ballet faisait son entrée, le maître à sa tête. Il esquissait un pas en marchant et jouait l’air sur son violon, qu’il agitait de haut en bas pour bien marquer la mesure.

Les danseurs étaient vêtus de sortes de robes bleues et roses qui les faisaient ressembler à des bergers d’Arcadie. Ils avaient tous à la main des cercles recouverts de papier d’or frangé, qui les aidaient à former des groupes pittoresques. On montait les uns sur les autres pour mieux voir ; c’était de toutes parts des ho ! et des ha ! qui remplissaient d’aise le maître et ses élèves.