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je n’ai voulu me lier à personne ; aujourd’hui convaincu par ta réputation, je me remets à toi, et avec moi les miens, tout ce que nous avons. Tu seras content de nous. » Puis prenant la tête de la colonne, il la guida vers la ville. A une heure, le maréchal y fit son entrée, au bruit des salves du Mechouar, aux acclamations des Turcs, des coulouglis et des juifs. L’occupation de Tlemcen se fit avec beaucoup d’ordre ; des quartiers distincts furent assignés aux brigades et aux services du corps expéditionnaire. Le bataillon d’élite fut place en grand’garde à Sidi-bou-Medine et le bataillon d’Afrique occupa d’autre part Aïn-el-Hout. Dans les maisons abandonnées par les hadar, on trouva de grandes provisions de grains ; il y avait des moulins aux environs, et les jardins étaient remplis de légumes. Le soldat avait largement de quoi vivre.

Le 14, le colonel Duverger, chef d’état-major, passa la revue des Turcs et des coulouglis ; il en compta sept cent soixante-quinze ; mais sur ce nombre, quatre cent trente-deux seulement étaient armés ; les trois cent quarante-trois autres reçurent avec reconnaissance des fusils français. Dès le lendemain, ils furent mis en campagne avec les cavaliers d’El-Mzari et l’infanterie de la première brigade. La mission du général Perregaux était d’essayer de joindre Abd-el-Kader, qui se mit aussitôt en retraite. Entraînés par le commandant Jusuf et le commandant Richepance, une cinquantaine de Douair et de Sméla se jetèrent sur sa piste ; pendant cinq lieues d’une poursuite acharnée, l’émir fut plus d’une fois en danger d’être atteint ; il perdit ses mules, ses bagages, son étendard, enlevé par le Smela Mohammed-ben-Kadour. Le lendemain, de nombreux groupes de hadar, cernés dans la montagne, et abandonnés par leur caïd Ben-Nouna, se rendirent au général Perregaux, qui les fit ramener sous escorte avec leurs troupeaux à Tlemcen.

Séduit par l’abondance des ressources qu’on découvrait tous les jours dans les maisons et dans les silos des alentours, le maréchal Clauzel s’était décidé non-seulement à prolonger son séjour dans ce beau pays, mais encore à y établir la domination française sous la protection du Mechouar. Pour en former la garnison, il choisit parmi les volontaires qui se présentèrent en foule, cinq cent soixante hommes qu’il constitua en quatre compagnies, avec un détachement d’artilleurs et d’ouvriers du génie, sous le commandement du capitaine du génie Cavaignac. Il n’était pas malaisé d’approvisionner le Mechouar en munitions de guerre et de bouche ; mais ce qui manquait, c’était l’argent comptant. Malheureusement le maréchal se laissa persuader qu’il lui serait facile d’en trouver dans la bourse des coulouglis, qui, pendant six ans, s’était arrondie aux dépens des hadar, et chez les juifs, qui, ayant là, comme ailleurs, le monopole du commerce, avaient certainement fuit de gros profits à la