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le passé, des asiles pour quiconque était admis à s’y réfugier, des asiles inviolables au seuil desquels expirait plus que jamais l’autorité du bey ; chacun d’eux restait souverain d’un état distinct dans l’état. La police arrêtait-elle dans la rue, en pleine nuit, un voleur, elle s’assurait avant tout de sa nationalité, et, s’il n’était pas Arabe, devait le conduire immédiatement à son consul pour le prier de faire justice. Un malfaiteur européen était-il signalé au gouvernement par les intéressés? Au risque de le laisser échapper, on ne pouvait l’appréhender qu’en présence des janissaires de son consul, si celui-ci consentait à les fournir, sinon les poursuites étaient suspendues.

En matière immobilière, les tribunaux tunisiens étant seuls compétens, les décisions rendues par eux n’avaient souvent aucune sanction. En matière mobilière, un étranger ne pouvait être traduit en justice que devant le représentant de son pays ; ce représentant ne jugeait pas toujours lui-même : les consuls généraux, pour la plupart, avaient à leurs côtés un consul-juge, leur compatriote, avec lequel ils n’étaient pas toujours d’accord, tant s’en fallait, le magistrat cherchant d’ordinaire à se soustraire à l’influence de l’agent. L’étranger poursuivi devant ce magistrat était-il condamné, le consul pouvait atténuer la rigueur de la sentence en ne se pressant pas de l’exécuter, en accordant des délais, des faveurs même, puisqu’il devait à ses nationaux aide et protection. Avait-il gain de cause? Souvent, par une demande reconventionnelle, il faisait condamner le demandeur; alors ce dernier s’adressait à son tour à son consul, qui reprenait le jugement : toute sentence était ainsi soumise à l’appréciation de chacun des agens qui devaient la faire exécuter. — s’agissait-il de poursuivre une association d’étrangers? autant valait y renoncer, le demandeur devant s’adresser à autant de tribunaux qu’il y avait de défendeurs de nationalités différentes; comment espérer que ces tribunaux rendraient tous des jugemens identiques les uns aux autres? L’association avait-elle une nationalité? la poursuite semble plus facile, un seul jugement est nécessaire ; mais à combien de mains l’exécution est-elle confiée ?

Encore si les Européens seuls avaient pu compter sur les privilèges consulaires, il n’y aurait eu que demi-mal, mais à côté d’eux, bien plus gênans qu’eux, pullulait une race à part, les protégés. On ne sait pas assez en France ce qu’on entend en Orient par un protégé; on lit dans les journaux, de temps à autre, qu’un Européen a été maltraité par un fonctionnaire musulman, mais qu’aussitôt le consul a protesté, obtenu le châtiment du coupable et une réparation morale et matérielle en faveur de la victime ; ce qu’on ne sait pas, c’est que, très souvent, cet Européen est un nègre, un Arabe ou un juif indigène qui ne pairie aucune des langues