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poursuivi vainement ou en aveugles les contribuables arabes merveilleusement initiés à l’art de se jouer du fisc. À la fois responsables de l’ordre et du paiement de l’impôt, il était naturel et sage de continuer à leur confier dès le début, — sous l’œil sévère de notre armée, — La police de leur territoire et un droit limité de contrainte sur les contribuables. En outre, qui était, mieux qu’eux, à même d’instruire les affaires judiciaires, de rechercher ou de faire arrêter les coupables, d’exécuter les décisions des tribunaux ; de juger sur place les contraventions ou certaines affaires peu importantes, afin d’épargner aux plaideurs, à l’état, des pertes de temps et d’argent ?

Leur système de perception des impôts s’appuyait sur une base de garantie pour le Trésor très ancienne, savamment, construite et que nous avons été trop heureux de pouvoir conserver. Le caïd ou son khalifa n’a point affaire, comme on pourrait le croire, aux contribuables, mais aux cheiks, — sorte de maires, — qui se chargent dans chacune des tribus de la province de faire payer leurs administrés et, — Cela est essentiel, — répondent pour eux. Le cheik est-il insolvable ? peu importe, — Car il est élu, non au suffrage universel des membres de la tribu ou du village, mais par les chefs de tente ou notables, lesquels se portent, vis-à-vis du caïd, caution de sa solvabilité. Ainsi le gouvernement, — que les contribuables aient payé ou non, — se fait verser le montant des impôts par les caïds, lesquels l’ont reçu des cheiks ou, à leur défaut, des notables ; de cette façon peu de mécomptes, sauf dans les cas trop fréquens de force majeure, menacent l’état. On s’est étonné de trouver en Tunisie tant de vestiges du passé encore vivans, utilisables ; on oublie toujours que le monde arabe vit de traditions. « Nous n’avons pas en face de nous, a dit M. Cambon dans un de ses spirituels discours, des anthropophages, des Peaux rouges, mais les descendans d’une société très policée, organisée depuis des siècles sur les ruines de la Carthage romaine et phénicienne. » N’est-ce pas, au reste, dans les pays où les impôts sont le plus arbitraires qu’on peut s’attendre à voir les moyens de les percevoir le mieux perfectionnés ? Aussi a-t-on conservé ces moyens tout en supprimant les abus. — Le contribuable ne peut payer deux fois, avons-nous dit, c’est le principal ; quant aux caïds, il s’agit de les bien choisir et de ne pas les perdre de vue. À notre arrivée, pas un n’est resté debout devant notre armée : les dénonciations avaient plu sur eux de toutes parts ; on les remplaça tant bien que mal, au pied levé, le plus souvent par leurs délateurs ; mais voilà ceux-ci accusés à leur tour, convaincus d’exactions, d’hostilité, pires que les anciens. Alors on s’aperçoit, par bonheur très vite, que tout le monde n’est pas capable d’être caïd, et qu’en encourageant les