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en sorte que l’état ne pouvait en aucun cas toucher plus de la moitié de ses revenus, mais il avait de grandes chances pour toucher moins, beaucoup moins. Or, cette moitié était loin de suffire à ses besoins, et surtout aux appétits insatiables des favoris et des aventuriers « qui vivaient au Bardo, ont dit les Arabes, comme sur l’âne blessé s’acharnent les mouches; » quand les douanes n’avaient pas produit ce qu’en attendaient les créanciers, quand il fallait que le trésor absolument vide comblât le déficit, le bey empruntait, — mais à 8, à 12 pour 100. — On voit que ce régime pouvait prolonger de quelques années l’existence de la Tunisie, non la sauver. On avait beau multiplier les impôts, exiger des plus pauvres habitans une capitation, la medjba, de 30 francs par tête, taxer tous les produits du sol sur pied, dans les marchés, à l’exportation, — Le pays était las, n’en pouvait plus.

Il était donc grand temps d’intervenir. En prêtant à la Tunisie son crédit, c’est-à-dire en la couvrant de sa garantie, la France lui rendait possible, dans des conditions avantageuses cette fois, l’émission d’ un emprunt, lequel servirait à convertir l’ancienne dette, Cela fait, la Tunisie se trouvait beaucoup moins obérée et devenait de nouveau maîtresse de disposer de ses ressources. Mais cette garantie de notre part était-elle prudente? Ne nous exposait-elle pas à plus de risques dans l’avenir qu’elle ne nous promettait d’avantages? Il fallut près de deux ans à la nouvelle chambre qui fut élue, il est vrai, au moment même de l’expédition tunisienne, au lendemain du bombardement de Sfax, — pour se décider à l’autoriser; deux ans pendant lesquels six ministères consécutifs eurent à gagner l’opinion, à réhabiliter la Tunisie. L’éloquence des faits vint en aide au gouvernement. Ces deux années avaient par bonheur été productives ; la nouvelle administration transitoire avait réussi au-delà de toute espérance : elle annonça que ses recettes dépassaient déjà ses prévisions, que son budget, en dépit de la guerre, des émigrations et des incertitudes d’une occupation toute récente, donnait déjà des excédens, et que les budgets à venir en promettaient de beaucoup plus considérables. Ce sont en grande partie ces résultats qui ont déterminé nos représentans à ne plus tenir rigueur à la jeune colonie et à l’aider.

La dette du gouvernement tunisien ne s’était augmentée depuis l’existence de la commission que de 17 millions environ. Il s’agissait donc de rembourser 142 millions. A cet effet, avec l’autorisation de nos chambres, une rente 4 pour 100 de 6,307,000 francs, divisée en obligations de 500 francs, valeur nominale, fut émise sous la garantie de la France. Ceux des créanciers, le plus grand nombre, qui ne voulurent pas être remboursés, reçurent par préférence aux autres souscripteurs, au prix de 462 francs, des obligations