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coup sûr, de monotones divagations. Elles sont cependant instructives, et, puisqu’on veut si bien instruire ce bon peuple français, il n’y aurait qu’à le conduire au Palais-Bourbon, où il pourrait apprendre mieux qu’à l’école primaire ce que ses représentans font de ses affaires. Elles ont surtout cela de curieux, ces discussions sans fin, qu’elles ouvrent des jours singuliers sur les révolutions intimes de notre vie publique : elles dévoilent les mobiles, les arrière-pensées, les obsessions des partis qui ont le pouvoir, et elles révèlent aussi le chemin que nous avons fait depuis quelques années, la dépression étrange, croissante de tous les sentimens libéraux, de toutes les idées qu’on se faisait sur l’inviolabilité de la loi, sur les garanties destinées à sauvegarder les droits et les intérêts du pays.

Autrefois, c’était une sorte de dogme, dans tous les cas un point d’honneur pour les oppositions libérales, de défendre ces droits, de réclamer la clarté dans les budgets, la précision dans l’affectation des crédits, de poursuivre d’une guerre sans merci les dissimulations de dépenses, les budgets extraordinaires par où s’écoule la fortune nationale. Aujourd’hui, les mots semblent avoir changé de sens, avec quelques euphémismes, on fait tout passer. Les émissions de dette qu’on ne veut pas avouer deviennent des moyens de trésorerie, les impôts nouveaux ne sont plus que des remaniemens de taxe, les budgets extraordinaires et les caisses de toute sorte imaginées pour déguiser les emprunts sont la chose la plus simple du monde. Sans plus de façon, dans un ministère, on crée des emplois dont le parlement ne connaît pas l’existence et on prend là où on peut pour suffire à des dépenses qui n’ont pas été autorisées. On trouvait même jusqu’ici, à ce qu’on nous a appris, dans quelque crédit inconnu du ministère de l’instruction publique de quoi payer le dîner de gala donné aux lauréats du grand concours ! Cela se faisait à l’amiable sous la forme d’une gratification accordée à un employé ! Bref, selon le mot d’un député, on se fait ainsi « un budget occulte qui se compose de prélèvemens sur un certain nombre de chapitres. » Survient de temps à autre, il est vrai, la cour des comptes qui signale les abus trop crians, qui fait ses observations et rappelle les règles inviolables de la comptabilité publique ; mais la cour des comptes est une institution surannée des régimes réactionnaires dont on se moque ! elle ne peut, d’ailleurs, faire ses observations qu’après plusieurs années, — et alors tout est passé, tout est fini ! Le dîner des lauréats fait moins de bruit aujourd’hui que n’en fît autrefois la fameuse salle à manger de M. de Peyronnet. Les républicains ont des trésors d’indulgence pour les irrégularités qu’ils commettent eux-mêmes ou qui leur profitent. L’essentiel est qu’une dépense irrégulière ou régulière ait été faite pour le parti, dans un intérêt de domination ou d’élection future ; l’important, surtout au ministère de l’instruction publique, est qu’elle serve à la grande