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France seraient bien embarrassés de le dire. On ne sait pas quelles merveilleuses combinaisons on découvrira pour voiler les déficits et créer une illusion d’équilibre sans emprunts, sans impôts. Tout a été essayé, il y a eu, pour le moins déjà, cinq ou six budgets proposés, retirés ou mis au rebut. Le nouveau ministre des finances, à son tour, a voulu avoir son projet ; il l’a préparé, il l’a proposé intrépidement, — pour l’abandonner à la première résistance, — et la question reste plus que jamais incertaine. On est à la fin du premier mois de l’année, on a déjà épuisé un des deux douzièmes provisoires qui ont été votés, il n’y a toujours pas de budget ! Il n’y aura tout au plus, si tant est qu’on y arrive pour les derniers jours du second mois, qu’une œuvre décousue et disparate qu’on aura bâclée pour en finir, que le sénat n’aura pas le temps de revoir. Il n’y a pas de budget parce qu’il n’y a pas de gouvernement, parce que, si le ministère remanié qui préside à nos affaires depuis le mois de décembre a pu échapper à quelques défilés dangereux, il n’en a ni plus de force ni plus d’autorité. Il reste un peu un ministère « d’attente » comme le budget qu’il voudrait faire voter. Il vit au jour le jour, défiant de lui-même et de tout ce qui l’entoure, timide et indécis jusque dans ses bonnes intentions, inconsistant dans ses volontés, impuissant à se diriger et à donner une direction. Et la France n’a pas plus de gouvernement qu’elle n’a de budget parce que depuis longtemps elle est livrée à une politique de parti qui sacrifie tout à un âpre intérêt de domination, qui s’est accoutumée à se moquer de toutes les garanties, des règles les plus simples d’une administration équitable et prévoyante, qui ne voit dans les finances elles-mêmes qu’un moyen de donner carrière à ses passions et à ses fanatismes. C’est la vérité de la situation, — et tandis que les événemens se préparent, tandis que toutes parts s’élèvent les problèmes les plus graves, les mieux faits pour démontrer la nécessité de revenir à des conditions plus sérieuses de gouvernement, la politique de parti poursuit, autant qu’elle le peut, sa petite œuvre ; elle montre une fois de plus, à propos de ce budget qu’elle ne peut pas même réussir à voter, comment elle entend surtout la paix des esprits et l’ordre financier, sans lesquels il n’y a pas de gouvernement.

Rien n’est certainement plus caractéristique que ces discussions qui ont recommencé avec la session et qui se déroulent depuis quelques jours au Palais-Bourbon, qui se promènent à travers tous les détours d’un budget de plus de trois milliards. Elles n’ont, il est vrai, rien de brillant ni de bien saisissant, à part quelques escarmouches qui, de temps à autre, animent la scène. Elles ne sont pas près de finir, elles dépassent à peine le ministère de l’instruction publique et des beaux-arts ; elles arrivent aux cultes, — elles n’ont pas abordé les redites, qui résument plus particulièrement le système financier : elles nous réservent encore du bon temps, peut-être des surprises et, à