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je goûte l’esprit et même le caractère de Stanislas, celui des amis de Lucien à qui M. Dumas a communiqué la plus large part de ses dons personnels, autant je suis incommodé par le père de Lucien, que M. Dumas, en un passage, a cependant pris pour truchement déclaré. Est-ce bien le même homme, qui à l’annonce du désastre conjugal de son fils répond par une historiette apocryphe de Brantôme ; qui, un quart d’heure après, joue aux cartes et dit à son partenaire : « Mon fils est un simple serin ; » — Et qui, entre temps, déclame cette réprimande : « Fais ce que dois, advienne que pourra... Voilà de quoi traverser tous les temps et faire face à toutes les mœurs?» Comment! voilà le père de Froufrou, moins sensible et plus cynique, et d’un cynisme plus déplacé : M. Dumas lui donne commission pour moraliser comme le père du Menteur ! Sa morale excuse mal sa longue historiette ; l’une est peu vraisemblable auprès de l’autre, et, en cette situation, l’autre ne l’est pas du tout; et d’ailleurs, si plaisamment préparé qu’il soit, tout ce congrès d’amis, discutant si Lucien est trompé ou ne l’est pas, met en défiance le sens commun. J’apprécie à sa valeur la silhouette de Célestin, ce valet que le mari questionne sur l’expédition de sa femme : bien que, par quelques traits, elle ressemble à une charge banale, par les principaux elle est exacte et neuve. La figure de ce Pinguet, que Francine, au troisième acte, reconnaît et désigne pour son « invité, » cette esquisse de bellâtre débonnaire, galant homme et circonspect, me semble touchée avec prudence et sûreté. Mais que cet « invité » se trouve précisément un clerc du notaire de Lucien, que ce soit lui qui se présente quand Lucien mande ce notaire par téléphone pour le consulter sur la séparation qu’il médite, — hum ! voilà qui sent un peu trop l’arbitraire de l’auteur. L’interrogatoire, que Stanislas fait subir à ce clerc en présence de Lucien, est réglé tout entier, — Demandes et réponses, — avec une habileté, une fermeté merveilleuses, et le ragoût de cet épisode est des plus piquans ; mais l’artifice de cette scène est-il digne du caractère de cette comédie ?

Enfin, dans ce troisième acte, il me paraît qu’il y a un peu de confusion et des longueurs ; quelques longueurs aussi dans la deuxième partie du second, et peut-être même dans la première scène du premier. Cependant la pièce, dans son ensemble, est rapide. Notez, d’ailleurs, qu’elle tient en un seul décor et en moins de vingt-quatre heures; et que le premier tiers est tout en causerie, et les deux autres en interrogatoires et en récits, — mais en interrogatoires comme ceux d’Œdipe ! roi, en récits comme ceux de l’École des femmes, qui sont « des actions, dit Molière, selon la constitution du sujet. » — Cette simplicité, cette pureté classique de la composition, a un attrait particulier dans une telle œuvre d’art, dont la matière est toute moderne.

Et de même, si nous regardons la forme, il y a des tirades qui