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sont terribles : Georges Dandin assassin, doña Elvire gourgandine, voilà, selon vos décrets, l’homme et la femme modernes ! » On raille de cette manière M. Dumas, en faisant des visites, de cinq à sept heures; et de sept et demie à neuf, autour d’une bonne table; et derechef, jusqu’à minuit dans les salons, — à moins qu’on n’emploie la soirée à revoir cette damnable pièce! — Et à la thèse qu’on prête à M. Dumas, on oppose des argumens irrésistibles : on établit sérieusement que la trahison de la femme peut avoir des conséquences plus graves que celle du mari : on fait part à la compagnie de cette découverte, que les hommes n’accouchent pas ! De même, un personnage de M. Labiche déclare : « Les coqs n’ont pas de lait... » Mais sa déclaration, prise tout entière, est plus drôle : <« Les coqs n’ont pas de lait... ce sont les poules. »

Je ne voudrais pas desservir Francillon en lui retirant cette renommée quelque peu scandaleuse, que le malin dramaturge a peut-être prévue. Cette levée de boucliers a du bon : ce frémissement d’armes attire les badauds mieux qu’un son de cloche. La vérité, pourtant, c’est que ces chevaliers du bon sens exécutent une charge contre des moulins à vent. L’auteur n’a pas mis dans sa pièce la théorie qu’ils réfutent. Il a donné à entendre que l’adultère de l’homme, s’il n’a pas de suites matérielles et directes, n’est cependant pas une bagatelle; que, selon la morale pure et dans l’ordre des sentimens, un mensonge en action, un manquement à la foi jurée est toujours un crime, qu’il soit le fait d’un homme ou d’une femme : hé ! qui peut dire le contraire? En rappelant cet axiome, on a chance d’inspirer aux hommes, parmi les tentations, un peu de cette crainte du péché qu’ils exigent des femmes. C’est pourquoi il a plu à M. Dumas que cette question de l’égalité des deux fautes, mâle et femelle, fût agitée devant nous. Je dis : agitée, rien de plus ; encore n’est-ce pas lui qui l’agite, mais son héroïne. Elle est femme, elle est honnête et amoureuse : ne lui sied-il pas, quand elle raisonne ou déraisonne, de ne considérer que la morale pure et de se tenir dans l’ordre des sentimens? d’ailleurs, si, en fait, elle résout la question, c’est dans le sens contraire à celui que vous dites : réellement, elle s’est abstenue de tromper son mari. Vous parlez comme si, tout de bon, elle avait rendu offense pour offense, et comme si l’auteur lui avait crié : « Tu as bien fait ! » Mais précisément elle s’est calomniée en disant qu’elle avait ainsi vengé son affront; et l’auteur n’a de cesse qu’elle n’ait été contrainte de se justifier de cette calomnie. Tous les personnages qu’il met en scène sont émus de l’accusation qu’elle-même porte et soutient contre elle, — émus comme par l’idée d’un malheur possible, invraisemblable toutefois, et justement parce qu’il serait trop affreux; — Et tout le train de la comédie n’est que le progrès de l’enquête qu’ils font